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30/11/2017

je n’entre pas dans le détail des opérations militaires ; je n’ai jamais pu supporter ces minuties de carnage. Toutes les guerres se ressemblent à peu près : c’est comme si on faisait l’histoire de la chasse, et que l’on supputât le nombre des loups ...

... Voltaire n'aurait sans doute pas aimé nos journaux télévisés, le "carnage" y étant quasi un produit d'appel, une tête de gondole où l'on trouve une débauche de chiffres -de morts , blessés, disparus,- disparates selon les chaines . Je déteste également ça , à l'égal des jeux vidéo kill them all , parfaitement abrutissants au sens premier du terme .

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... but I try again !

 

« Au comte Francesco Algarotti

17è janvier 1763 au château de Ferney 1

Mon cher cygne de Padoue, si le climat de Bologne est aussi dur et aussi froid que le mien pendant l’hiver, vous avez très bien fait de le quitter pour aller je ne sais où , car je n’ai pu lire l’endroit d’où vous datez, et je vous écris à Venise, ne doutant pas que ma lettre ne vous soit rendue où vous êtes. Pour moi, je reste dans mon lit comme Charles XII, en attendant le printemps. Je ne suis pas étonné que vous ayez des lauriers dans la campagne où vous êtes ; vous en feriez naître à Pétersbourg.

En relisant votre lettre, et, en tâchant de la déchiffrer, je vois que vous êtes à Pise, ou du moins je crois le voir. C’est donc un beau pays que Pise ? Je voudrais bien vous y aller trouver ; mais j’ai bâti et planté en Laponie ; je me suis fait lapon, et je mourrai lapon.

Je vous enverrai incessamment le deuxième tome du Czar Pierre. Je me suis d’ailleurs amusé à pousser l’Histoire générale jusqu’à cette paix dont nous avions tant besoin. Vous sentez bien que je n’entre pas dans le détail des opérations militaires ; je n’ai jamais pu supporter ces minuties de carnage. Toutes les guerres se ressemblent à peu près : c’est comme si on faisait l’histoire de la chasse, et que l’on supputât le nombre des loups mangés par chiens, ou des chiens mangés par les loups.

J’aime bien mieux vos Lettres militaires 2, où il s’agit des principes de l’art : cet art est, à la vérité, fort vilain ; mais il est nécessaire. Le prince Louis de Virtemberg, que vous avez vu à Berlin, a renoncé à cet art comme au roi de Prusse, et est venu s’établir dans mon voisinage. Nous avons des neiges, j’en conviens ; mais nous ne manquons pas de bois. On a des théâtres chez soi, si on en manque à Genève ; on fait bonne chère ; on est le maître de son château ; on ne paie de tribut à personne : cela ne laisse pas de faire une position assez agréable. Vous qui aimez à courir, je voudrais que vous allassiez de Pise à Gênes, de Gênes à Turin, et de Turin dans mon ermitage ; mais je ne suis pas assez heureux pour m’en flatter.

Buona notte, caro cigno di Pisa 3!

V. »

1 Original, formule et initiale autographes . Une main a noté sur le manuscrit « à Alberto Capacelli probablem[en]t », ce à quoi Wagnière a biffé en corrigeant : « non, c'est à M. Algaroti », ce qui est exact .

La présente lettre répond à celle du 17 décembre 1762 d'Algarotti . Il disait avoir quitté Bologne pour Pise, où il trouvait des orangers portant leurs fruits ainsi que l'  "arbor vittoriosa e trionfale della quale voi avere ricinte le chiome » (« l'arbre de la victoire et du triomphe, dont vous avez connu le feuillage ») . Algarotti disait aussi avoir lu dans les gazettes anglaises que V* avait assaisonné une fête donnée au duc de Richelieu d'une tragédie intitulée La Famille d'Alexandre . Or aucune pièce de ce nom n'est connue et V* n'y fait pas allusion dans sa réponse .

3 Bonne nuit cher cygne de Pise .

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