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03/04/2019

puisque j’ose vous envoyer de telles fadaises. J’ose même me flatter que vous n’en direz du mal qu’à moi

... Les fadaises étant les commentaires que je commets plus ou moins à propos de l'actualité, je vous laisse la parole à volonté . Vous et moi serons seuls dans la confidence, étant entendu que le net est le meilleur moyen d'être discret, tout le monde , y compris vous et moi, sait ça .

 

 

 

« A Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Aux Délices 7è mars 1764

Vous dites des bons mots, madame, et moi je fais de mauvais contes ; mais votre imagination doit avoir de l’indulgence pour la mienne, attendu que les grands doivent protéger les petits 1. Vous m’avez ordonné expressément de vous envoyer quelquefois des rogatons . J’obéis, mais je vous avertis qu’il faut aimer passionnément les vers pour goûter ces bagatelles 2. Si ce pauvre Formont vivait encore, il me favoriserait auprès de vous ; il vous ferait souvenir de votre ancienne indulgence pour moi ; il vous dirait qu’un demi-quinze-vingts a droit à vos bontés . Il faut bien que j’y compte encore un peu, puisque j’ose vous envoyer de telles fadaises. J’ose même me flatter que vous n’en direz du mal qu’à moi. C’est là le comble de la vertu pour une femme d’esprit . Vous me direz que la chose est bien difficile, et que la société serait perdue si l’on ne se moquait pas un peu de ceux qui nous sont le plus attachés. C’est le train du monde ; mais ce n’est pas le vôtre, et nous n’avons, dans l’état où nous sommes, vous et moi, de plus grand besoin que de nous consoler l’un et l’autre . Je voudrais vous amuser davantage et plus souvent ; mais songez que vous êtes dans le tourbillon de Paris, et que je suis au milieu de quatre rangs de montagnes couvertes de neige. Les jésuites, les remontrances, les réquisitoires, l’histoire du jour, servent à vous distraire, et moi je suis dans la Sibérie . Cependant vous avez voulu que ce fût moi qui me chargeas[se]3 quelquefois de vos amusements ; pardonnez-moi donc quand je ne réussis pas dans l’emploi que vous m’avez donné ; c’est à vous que je prêche la tolérance . Un de vos plus anciens serviteurs, et assurément un des plus attachés, en mérite un peu. »

1 Diplomatiquement, V* fait en sorte de détourner les critiques de ses contes que Mme du Deffand peut faire dans le monde ; cette lettre est un modèle de l'art épistolaire mondain .

2 Les Trois Manières .

3 Le mot est écris chargeas dans le manuscrit original, ce qui fait difficulté puisqu'il faudrait chargeasse . Plusieurs explications sont possibles . On a supposé une faute d'orthographe de Wagnière . Mais V* pourrait aussi avoir dicté chargeât, en mettant le relatif à la troisième personne ce qui est un usage blâmé par les grammairiens du temps, mais encore correct au XVIIè et bien connu au XVIIIè par exemple dans les œuvres de jeunesse de Marivaux . On peut aussi songer à des formes aberrantes mais attestées d'imparfaits du subjonctif .

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