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06/05/2019

Tout ce que je vois jette les semences d’une révolution qui arrivera immanquablement, et dont je n’aurai pas le plaisir d’être témoin. Les Français arrivent tard à tout, mais enfin ils arrivent ... on éclatera à la première occasion 

... Je ne connais pas de Voltaire de nos jours, et qui plus est, ait la clairvoyance de l'original .

 

 

« A Bernard-Louis Chauvelin

2è avril 1764

Votre Excellence est assez bonne pour avoir des griefs contre moi. J’en ai moi-même un bien fort : c’est que je n’en peux plus, c’est que j’ai absolument perdu la santé, et qu’étant menacé de perdre la vue, tout ce que je peux faire, c’est de dicter une malheureuse lettre. Je suis tombé tout d’un coup, mais ce n’est pas de bien haut. Je ne savais pas que madame l’ambassadrice eût été malade ; je vous assure que je m’y serais plus intéressé qu’à ma propre misère, par la raison que j’aime beaucoup mieux les pièces de Racine que celles de Pradon, et que les beaux ouvrages de la nature inspirent plus d’intérêt que les autres.

J’avoue que j’ai eu grand tort de ne vous pas envoyer les Trois Manières ; mais puisque vous les avez, je ne peux réparer mon tort . Tout ce que je peux faire, c’est de vous donner madame Gertrude 1, si vous ne l’avez pas.

A l’égard de ce qui devait vous revenir vers le mois d’avril, ne prenez pas cela pour un poisson d’avril, s’il vous plaît . Je tiendrai ma parole tôt ou tard ; mais donnez un peu de temps à un pauvre malade. J’ai été accablé de fardeaux que mes forces ne pouvaient porter ; et, dans l’état où je suis réduit, il m’est impossible de m’appliquer. J’ai consumé la petite bougie que la nature m’avait donnée ; il ne reste plus qu’un faible lumignon que le moindre effort éteindrait absolument.

Oserais-je demander à Votre Excellence si elle est contente de la Gazette littéraire ? Il me semble que cette entreprise est en bonnes mains, et que, de tous les journaux, c’est celui qui met le plus au fait des sciences de l’Europe . C’est dommage qu’il ne parle point de mandements d’évêques, qu’on brûle tous les jours. Tout ce que je vois jette les semences d’une révolution qui arrivera immanquablement, et dont je n’aurai pas le plaisir d’être témoin. Les Français arrivent tard à tout, mais enfin ils arrivent. La lumière s’est tellement répandue de proche en proche, qu’on éclatera à la première occasion ; et alors ce sera un beau tapage. Les jeunes gens sont bien heureux ; ils verront de belles choses .2

A propos, je n’ose vous envoyer un conte à dormir debout 3, qui est très indigne d’un grave ambassadeur ; mais pour peu que madame l’ambassadrice se plaise aux Mille et une Nuits, je l’enverrai par la première poste ; en attendant, voici un petit avis d’un nommé Vadé à mes chers compatriotes 4. Ce Vadé-là était un homme bien difficile à vivre. Mille sincères et tendres respects.

V. »

1 L’Éducation d'une Fille.

2 Prédiction révolutionnaire célèbre (Georges Avenel).

3 Ce qui plaît aux dames .

4 Copie manuscrite du Discours aux Welches, par Antoine Vadé . On ne connait pas d'édition séparée du Discours aux Welches, inséré dans les Contes de Guillaume Vadé, mais V* en avait probablement un certain nombre de tirages à part .

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