08/05/2019
pour perfectionner votre troupe, vous pourriez prendre, au lieu des chapons d’Italie, que vous n’aimez point, quelques-uns de nos jésuites réformés ; ils passaient pour être les meilleurs comédiens du monde
... C'est un conseil d'ami au pape François, ex-jésuite (si tant est qu'on puisse sortir de cette caste, jésuite un jour, jésuite toujours) .
« A Frédéric II, margrave de Hesse-Cassel
A Ferney , le 7 avril 1764
Monseigneur,
Si je suivais les mouvements de mon cœur, j’importunerais plus souvent de mes lettres Votre Altesse Sérénissime ; mais que peut un pauvre solitaire, malade, vieux et mourant, inutile au monde et à lui-même ? Votre Altesse Sérénissime me parle de tragédies ; donnez-moi de la jeunesse et de la santé, et je vous promets alors deux tragédies par an ; je viendrai moi-même les jouer à Cassel, car j’étais autrefois un assez bon acteur. Rajeunissez aussi mademoiselle Gaussin, qui n’a rien à faire, et qui sera fort aise de recevoir de vous cette petite faveur. Nous nous mettrons tous les deux à la tête de votre troupe, et nous tâcherons de vous amuser ; mais j’ai bien peur d’aller bientôt faire des tragédies dans l’autre monde ; pour peu que Belzébuth aime le théâtre, je serai son homme. Les dévots disent en effet que le théâtre est une œuvre du démon : si cela est, le démon est fort aimable, car de tous les plaisirs de l’âme, je tiens que le premier est une tragédie bien jouée.
J’envie le sort d’un Genevois 1 qui va faire sa cour à Votre Altesse Sérénissime. Il est bien heureux, mais il est digne de l’être ; c’est un homme plein d’esprit et de sagesse. La liberté genevoise est une belle chose, mais l’honneur de vous approcher vaut encore mieux.
Je songe, monseigneur, que, pour perfectionner votre troupe, vous pourriez prendre, au lieu des chapons d’Italie, que vous n’aimez point, quelques-uns de nos jésuites réformés ; ils passaient pour être les meilleurs comédiens du monde ; je crois qu’on les aurait actuellement à fort bon marché.
Pardonnez à un vieillard presque aveugle de ne vous pas écrire de sa main.
Je suis, etc.
Voltaire. »
1Paul Henri Mallet ; voir lettre du 28 mars 1764 à la margravine de Baden-Durlach : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/05/03/que-reste-t-il-a-tous-ces-rois-qui-ont-ebranle-l-europe-par-leurs-guerres.html
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