04/11/2019
dès qu’il y aura le moindre danger, je vous demande en grâce de m’avertir, afin que je désavoue l’ouvrage dans tous les papiers publics avec ma candeur et mon innocence ordinaires
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« A Jean Le Rond d'Alembert
On dit, mon cher philosophe, que vous perfectionnez les lunettes 1. Ceux qui ont de mauvais yeux vous béniront ; mais moi, qui perds la vue dès qu’il fait froid et qu’il y a un peu de neige sur la terre, je ne profiterai pas de votre belle invention. Après avoir rendu hommage à votre physique, il faut que je vous parle morale. Il y en a tant dans ce diabolique dictionnaire, que je tremble que l’ouvrage et l’auteur ne soient brûlés par les ennemis de la morale et de la littérature 2. Ce recueil est de plusieurs mains, comme vous vous en serez aisément aperçu. Je ne sais par quelle fureur on s’obstine à m’en croire l’auteur. Le plus grand service que vous puissiez me rendre est de bien assurer, sur votre part du paradis, que je n’ai nulle part à cette œuvre d’enfer, qui d’ailleurs est très mal imprimée, et pleine de fautes ridicules. Il y a trois ou quatre personnes qui crient que j’ai soutenu la bonne cause, que je combats dans l’arène, jusqu’à la mort contre les bêtes féroces. Ces bonnes âmes me bénissent et me perdent. C’est trahir ses frères que de les louer en pareille occasion ; il faut agir en conjurés et non pas en zélés. On ne sert assurément ni la vérité ni moi, en m’attribuant cet ouvrage. Si jamais vous rencontrez quelque pédants à grand rabat ou à petit rabat, dites-leur bien, je vous en prie, que jamais ils n’auront ce plaisir de me condamner en mon propre et privé nom, et que je renie tout dictionnaire, jusqu’à celui de la Bible par dom Calmet 3. Je crois qu’il y a, dans Paris, très peu d’exemplaires de cette abomination alphabétique, et qu’ils ne sont pas dans des mains dangereuses ; mais, dès qu’il y aura le moindre danger, je vous demande en grâce de m’avertir, afin que je désavoue l’ouvrage dans tous les papiers publics avec ma candeur et mon innocence ordinaires.
Il se répand des bruits fâcheux sur l’impératrice de toutes les Russies. On prétend qu’à son retour elle a trouvé un violent parti contre elle, et que le sang du prince Ivan ou Jean a crié vengeance. Je ne garantis rien, pas même la mort de ce prince qui est trop avérée. Portez-vous bien, digérez, et aimez un peu qui vous aime beaucoup.
V.
Ce 19 [septembre 1764] »
1 Tout le troisième volume des Opuscules mathématiques, de d'Alembert, est consacré à des Essais sur les moyens de perfectionner les verres optiques . Voir : http://sites.mathdoc.fr/cgi-bin/oetoc?id=OE_DALEMBERT__3
2 Cet ouvrage « diabolique » sera effectivement brûlé . Quant à l'auteur il ne risque rien comme on le verra .
Deux jours avant, Bonnet écrit à Haller : « J'ai parcouru de l’œil ce Dictionnaire philosophique, le plus détestable de tous les livres du pestilentiel auteur . Il n'a lu l’Écriture que pour la mêler à son arsenic . Il s'efforce de la déguiser ou de la détruire ; il redouble ses efforts, à mesure qu'il vieillit ; c'est quelle est pour sa conscience ce que l'arsenic est pour les intestins . » Voir : https://books.google.fr/books?id=m9gnDwAAQBAJ&pg=PT329&lpg=PT329&dq=Bonnet%C2%A0:+%C2%AB%C2%A0J%27ai+parcouru+de+l%E2%80%99%C5%93il+ce+Dictionnaire+philosophique,+le+plus+d%C3%A9testable+de+tous+les+livres+du+pestilentiel+auteur&source=bl&ots=hXtiVYeudx&sig=ACfU3U1uj9o8OBB2EW6hdWNSB4jkOSCjbg&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjeq-P_4M7lAhWF5-AKHY1VAxEQ6AEwAXoECAkQAQ#v=onepage&q=Bonnet%C2%A0%3A%20%C2%AB%C2%A0J'ai%20parcouru%20de%20l%E2%80%99%C5%93il%20ce%20Dictionnaire%20philosophique%2C%20le%20plus%20d%C3%A9testable%20de%20tous%20les%20livres%20du%20pestilentiel%20auteur&f=false
3C'est chez Don Calmet que V* a trouvé l'essentiel de sa documentation biblique, qu'il retourne contre le pieux auteur du Dictionnaire, et de la Géographie de la Bible . Sur les œuvres de Don Calmet, qui avait accueilli V* à Senones, voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8626560z/f498.image
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