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07/05/2020

Je crois que j’ai très bien pris mon temps pour me tirer de la cohue

... Mais ça commence à être un peu longuet . Je vois rouge .

Mam'zelle Wagnière, vous êtes au vert, mais soyez prudente , ce foutu virus ose s'attaquer à tous, même aux belles personnes .

Le gouvernement peine à trouver le plan de sortie de crise ...

 

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

20è février 1765

Mon cher frère, j’ai lu une partie de ce Pluquet 1 . Cet homme est ferré à glace sur la métaphysique ; mais je ne sais s’il n’a pas fourni un souper dont plusieurs plats seraient assez du goût des spinozistes. Je voudrais bien savoir ce que les d’Alembert et les Diderot pensent de ce livre.

La Destruction doit être partie, ou partira à la fin de cette semaine. Je ne suis pas exactement informé ; trois pieds de neige interrompent un peu la communication. Je crois que cette neige refroidira les esprits de Genève, qui étaient un peu échauffés ; on disputera, mais il n’y aura point de guerre civile.

Je crois que j’ai très bien pris mon temps pour me tirer de la cohue, et pour me défaire des Délices, d’autant plus que mon bail était fini, et que je ne l’avais pas renouvelé. Un M. Labat, qui avait dressé les  articles du contrat, me faisait quelques difficultés, comme vous l’avez pu voir. Ces difficultés ont dû vous paraître extraordinaires, aussi bien que le contrat même. On ne ferait pas de tels marchés en France . Celui-là est plus juif que calviniste.

Je me flatte que tout s’accommodera à l’amiable, et beaucoup plus facilement que les affaires de Genève. MM. Tronchin, qui sont mes amis, m’y aideront ; mais je serai toujours bien aise d’avoir le sentiment de M. Elie de Beaumont au bas de mes petites questions. J’attends avec impatience son mémoire pour les Calas 2. Voilà un véritable philosophe ; il venge l’innocence opprimée, il n’écrit point contre la comédie, il n’a point un orgueil révoltant, il n’est point le délateur de ceux dont il aurait dû être l’ami et le défenseur. Le cœur me saigne de deux grandes plaies, la première que Rousseau soit fou, la seconde que nos philosophes de Paris soient tièdes. Dieu merci, vous ne l’êtes pas. Vous m’avez glissé deux lignes, dans votre lettre du 12è février, qui font la consolation de ma vie.

Je soupçonne que le paquet de Franche-Comté est tombé entre les mains des barbares . Il faut mettre cette petite tribulation aux pieds du crucifix. Je me recommande à vos saintes prières. J’entre aujourd’hui dans ma soixante-douzième année, car je suis né en 1694, le 20è Février, et non le 20è de novembre, comme le disent les commentateurs mal instruits . Me persécuterait-on encore dans ce monde, à mon âge ? cela serait bien welche. Je me flatte au moins, qu’on ne me fera pas grand mal dans l’autre.

Je vous embrasse bien tendrement. Ecr l'inf. »

1 Examen du Fatalisme […] ; sur cet ouvrage , voir lettre du 28 janvier 1765 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/04/12/si-nous-avions-une-douzaine-d-ames-aussi-zelees-que-la-votre-nous-ne-laisse.html

2 Mémoire à consulter et consultation pour les enfants de défunt Jean Calas, marchand à Toulouse, signé Elie de Beaumont , daté du 22 janvier 1765 : https://tolosana.univ-toulouse.fr/fr/notice/044283709

Je n'ai presque point quitté mon lit depuis deux mois

... Là je galèje  un peu !

Je veux dire que je n'ai pas quitté ma cour plus d'une fois par semaine , je maitrise parfaitement l'art d'accommoder les restes, les menus sont peu variés, ce qui ne m'a pas empêché de faire un peu de gras ( à déconfiner lui aussi, le plus tôt possible ) . A 16h, nous serons fixés sur notre liberté surveillée , vert : je bosse, rouge : je me recouche !

1Sans titre.png

On va charger ... Messieurs ajustez vos faux nez !

https://www.centenaire.org/fr/tresors-darchives/fonds-pri...

 

 

« A Cosimo Alessandro Collini, Secrétaire intime et

historiographe de Son Altesse Électorale , etc.

à Mannheim

20è février 1765 1

Mon cher ami, j'entre aujourd’hui dans ma soixante et douzième année, en dépit de mes estampes qui me donnent quelques jours de moins 2. Ce n'est pas sans peine que j'ai attrapé cet âge . Je n'ai presque point quitté mon lit depuis deux mois . Vous m'avez vu bien maigre, je suis devenu squelette . Je m'évapore comme du bois sec enflammé, et je serai bientôt réduit à rien . Mettez-moi, je vous prie, aux pieds de Son Altesse Électorale . Je veux qu’elle sache que je mourrai son admirateur, son attaché, son obligé .

Dites-moi je vous prie, si vous avez trois pieds de neige à Mannheim, comme nous sur les bords du lac Léman . Avez-vous de beaux opéras ? J'avais un pauvre petit théâtre grand comme la main ; je viens de le faire abattre : vous voyez que j'ai renoncé au Démon et à ses pompes . La Mettrie a fait L’Homme machine 3 et L'Homme plante 4. Il est triste de n'être qu'une plante du pays de Gex . J'aurai végété plus agréablement à Schwetzingen . Adieu, aimez-moi pour le peu de temps que j'ai encore à exister et à sentir .

V. »

1 Sur le manuscrit original, mention « f[ran]co Canstat »

2 Officiellement, V* est né en novembre , et lui se réclame né plus tôt .

 

Je suis plus fait actuellement pour les extrêmes-onctions que pour les baptêmes

... Rien d'autobiographique là dedans, heureusement .

Mais je pense que le président du Mexique peut tout à fait coller à cet état , Andrés Manuel López Obrador continuant à prôner une vie sans précautions et une protection divine à grand renfort d'images pieuses , ce en quoi il est proche de son voisin Donald Trump : https://www.la-croix.com/Monde/Ameriques/Coronavirus-Mexi...

Mais, pandémie oblige, les cinglés malfaisants sont sous toutes les latitudes, et restent terriblement actifs, comme en Iran : https://rsf.org/fr/actualites/iran-deux-journalistes-arretes-apres-la-diffusion-dune-caricature-moquant-la-preconisation-de

 

 

 

« A Claude-Ignace Pajot de Vaux

Conseiller maître en la Chambre des

comptes de Dole

à Lons-le-Saulnier

18è février 1765 à Ferney 1

Monsieur,

Souffrez que cette lettre soit à la fois pour vous, pour monsieur votre frère et pour madame de Vaux . Je suis plus fait actuellement pour les extrêmes-onctions que pour les baptêmes . Mais si je peux jamais demander à ma mauvaise santé un congé pour venir assister à l'entrée que monsieur votre fils fera dans ce monde je ne manquerai pas de venir moi-même le mettre sous la protection de saint François d'Assise, mon bon patron . Si c'est un garçon il tiendra de vous le grand cordon si renommé de ce saint François . Si c'est une fille elle aimera un jour ce beau cordon 2. Je félicite sa mère de la bonne santé dont elle jouit, cela présage les couches du monde les plus heureuses . Je prends la liberté d'aimer toujours pâté 3, je respecte madame de Vaux, je vous suis véritablement attaché à l'un et à l'autre ; je vous souhaite toutes les prospérités que vous méritez ; je serai à vos ordres pour le reste de ma vie .

J’ai l’honneur d'être de tous les trois avec les plus respectueux sentiments, le très humble et très obéissant serviteur

Voltaire. »

1 Wagnière a ajouté à son texte l'initiale de V*, et une autre main la complèta en imitant apparemment la signature du patriarche .

2 Allusion à La Pucelle, chant second ? Voir  Grisbourdon : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-la-pucelle-d-orleans-chant-second-83161156.html