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15/12/2021

les sages qui ont pris leur parti n’apprendront rien de nouveau ; mais les jeunes gens, flottants et indécis, apprennent tous les jours

... J'ose l'espérer aussi . Mais parfois le doute m'habite .

Un peu d'humour pour la rentrée! - Entre prés et champs

 

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

13 septembre 1766

J’ai toujours oublié de demander à mes anges s’ils avaient reçu une visite de M. Fabry, maire de la superbe ville de Gex, syndic de nos puissants États, subdélégué de Mgr l’intendant, et sollicitant les suprêmes honneurs de la chevalerie de Saint-Michel. Je lui avais donné un petit chiffon de billet 1 pour vous, à son départ de Gex pour Paris, et j’ai lieu de croire qu’il ne vous l’a point rendu. Je vous supplie, mes divins anges, de vouloir bien m’en instruire.

Il doit vous être parvenu un petit paquet sous l’enveloppe de M. de Courteilles. Il contient un commentaire 2 du livre italien Des Délits et des Peines . Ce commentaire est fait par un avocat de Besançon, ami intime comme moi de l’humanité. J’ai fourni peu de chose à cet ouvrage, presque rien ; l’auteur l’avoue hautement, et en fait gloire, et se soucie d’ailleurs fort peu qu’il soit bien ou mal reçu à Paris, pourvu qu’il réussisse parmi ses confrères de Franche-Comté, qui commencent à penser. Les provinces se forment ; et si l’infâme obstination du parlement visigoth de Toulouse contre les Calas fait encore subsister le fanatisme en Languedoc, l’humanité et la philosophie gagnent ailleurs beaucoup de terrain.

Je ne sais si je me trompe, mais l’affaire des Sirven me paraît très importante. Ce second exemple d’horreur doit achever de décréditer la superstition. Il faut bien que tôt ou tard les hommes ouvrent les yeux. Je sais que les sages qui ont pris leur parti n’apprendront rien de nouveau ; mais les jeunes gens, flottants et indécis, apprennent tous les jours, et je vous assure que la moisson est grande 3 d’un bout de l’Europe à l’autre. Pour moi, je suis trop vieux et trop malade pour me mêler d’écrire . Je reste chez moi tranquille. C’est en vain que des bruits vagues et sans fondement m’imputent le Dictionnaire philosophique, livre, après tout, qui n’enseigne que la vertu. On ne pourra jamais me convaincre d’y avoir part. Je serai toujours en droit de désavouer tous les ouvrages qu’on m’attribue ; et ceux que j’ai faits sont d’un bon citoyen. J’ai soutenu le théâtre de France pendant plus de quarante années ; j’ai fait le seul poème épique tolérable qu’on ait dans la nation. L’Histoire du Siècle de Louis XIV n’est pas d’un mauvais compatriote. Si on veut me pendre pour cela, j’avertis Messieurs qu’ils n’y réussiront pas, et que je vivrai toujours, en dépit d’eux, plus agréablement qu’eux. Mais, pour persécuter un homme légalement, il faut du moins quelques preuves commencées, et je défie qu’on ait contre moi la preuve la plus légère. Je m’oublie moi-même à présent pour ne songer qu’aux Sirven ; le plaisir de les servir me console. Je n’étais point instruit de la manière dont il fallait s’y prendre pour demander un rapporteur ; je croyais qu’on le nommait dans le conseil du roi . C’est la faute de M. de Beaumont de ne m’avoir pas instruit. J’écris à Mme la duchesse d’Anville 4, qui est actuellement à Liancourt, pour la supplier de demander M. Chardon à monsieur le vice-chancelier. M. de Beaumont insiste sur M. Chardon. Pour moi, j’avoue que tout rapporteur m’est indifférent. Je trouve la cause des Sirven si claire, la sentence si absurde, et toutes les circonstances de cette affaire si horribles, que je ne crois pas qu’il y eût un seul homme au conseil qui balançât un moment.

Il faut vous dire encore que le parlement de Toulouse persiste à condamner la mémoire de Calas. Il a préféré l’intérêt de son indigne amour-propre à l’honneur d’avouer sa faute et de la réparer. Comment voudrait-on que les Sirven, condamnés comme les Calas, allassent se remettre entre les mains de pareils juges ? La famille s’exposerait à être rouée. Nous comptons sur le suffrage de mes divins anges, sur leur protection, sur leur éloquence, sur le zèle de leurs belles âmes . Je ne saurais leur exprimer mon respect et ma tendresse.

V. »

2 Commentaire sur le livre des délits et des peines, de Beccaria . Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Commentaire_sur_Des_D%C3%A9lits_et_des_Peines/%C3%89dition_Garnier

3 Souvenir de l'évangile de Matthieu , IX, 37 : https://www.aelf.org/bible/Mt/9

et de Luc , X, 2 : https://saintebible.com/luke/10-2.htm

4 Cette lettre manque .

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