19/03/2022
quelquefois la persécution suit de près la calomnie
... Les malheureux Ukrainiens en font l'atroce expérience .
« A Etienne-Noël Damilaville
19 décembre 1766
Dites, je vous prie, mon cher ami, à M. de Beaumont, que j’ai reçu de M. Chardon une lettre charmante, dans laquelle il prend fort à cœur l’affaire concernant Canon 1, et celle des Sirven.
A l’égard des Sirven, j’ai pris mon parti. J’ai trouvé le public le premier des juges, et les suffrages de l’Europe me suffisent. Tant de difficultés me rebutent, et pour peu qu’on en fasse encore, que M. de Beaumont m’envoie son mémoire, je ne veux pas autre chose . Je le ferai imprimer ; les Sirven gagneront leur cause dans l’esprit des honnêtes gens : c’est à eux seuls que je veux plaire dans tous les genres.
Pour vous prouver que c’est aux honnêtes gens seuls que je veux plaire, je vous envoie une scène de la tragédie des Scythes 2. Montrez-la à Platon et à vos amis, et mandez-moi ce que vous en pensez. Il me semble qu’une tragédie dans ce goût a du moins le mérite de la nouveauté. Ce n’est pas la peine d’être imitateur, il faut se taire en tout genre quand on n’a rien de nouveau à dire. Donnez-en, je vous prie, une copie à Thieriot : cela nourrira sa correspondance 3.
Je cultiverai, mon cher ami, les belles-lettres jusqu’au dernier moment de ma vie, malgré tout le mal qu’elles m’ont fait. Je sais que, dès qu’on a donné un ouvrage passable, la canaille de la littérature jette les hauts cris ; elle ne peut rien contre l’ouvrage, mais elle calomnie l’auteur. S’il réussit, on ne manque pas de l’appeler déiste, ou athée, ou même encyclopédiste . S’il paraît un mauvais livre, on ne manque pas de l’en accuser, et il en paraît tous les jours. L’imposture frappe à toutes les portes. Tantôt le vinaigrier Chaumeix, convulsionnaire crucifié ; tantôt l’abbé d’Estrées, auteur de l’Année merveilleuse 4, et associé de Fréron ; tantôt un ex-jésuite, crie au scandale jusqu’à ce qu’il ait persuadé quelque pédant accrédité ; et quelquefois la persécution suit de près la calomnie. On a beau faire du bien, on aurait beau même en faire à ces malheureux, ils n’en chercheraient pas moins à vous opprimer. Il faut combattre toute sa vie, et finir par s’enfuir, si les méchants l’emportent.
Adieu, mon cher ami 5, je suis bien aise de vous dire que M. le duc de Choiseul est très content de la pièce dont je vous envoie une scène 6 . M. d'Argental n'en a encore qu'une esquisse assez informe .
Que j’avais bien raison de vous dire autrefois à la fin de mes lettres, en parlant de la calomnie : Écrasons l’infâme ! Mais il est plus aisé de le dire que de le faire. »
1 Voyez la lettre à Damilaville du 1er Octobre 1766 sur le procès de Mme Beaumont : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/01/05/n-importe-il-faut-aller-en-avant-je-n-ai-d-autre-ressource-que-dans-la-veri.html
2 Les Scythes ; acte IV, sc. II. : http://www.theatre-classique.fr/pages/pdf/VOLTAIRE_SCYTHES.pdf
3 Cette phrase, omise dans la copie Darmstadt B. fait allusion à la correspondance littéraire de Thiriot adressée à Frédéric II.
4 L’année merveilleuse ou les Hommes-femmes , 1748, et son Supplément sont de l’abbé Coyer, où Mme Du Châtelet se trouve attaquée . Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62145302.texteImage
5 La copie arrête ici cet avant dernier paragraphe .
6 Ainsi qu'il l'écrit à V* dans une lettre du 10 décembre 1766 .
00:05 | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.