19/06/2022
il faut prendre son parti sans pusillanimité dans toutes les occasions de la vie, tant que l’âme bat dans le corps
... Alors on vote ?
« A Louis-François-Armand du Plessis, duc de Richelieu
9è février 1767 à Ferney
Vous connaissez, monseigneur, la main qui vous écrit 1, et le cœur qui dicte la lettre. Les neiges m’ôtent l’usage des yeux cet hiver-ci avec plus de rigueur que les autres ; mais j’espère voir encore un peu clair au printemps. L’aventure 2 dont vous avez la bonté de me parler dans vos deux lettres est une de ces fatalités qu’on ne peut pas prévoir. Je pense que vous croyez à la destinée ; pour moi, c’est mon dogme favori. Toutes les affaires de ce monde me paraissent des boules poussées les unes par les autres. Aurait-on jamais imaginé que ce serait la sœur de ce brave Thurot tué en Irlande 3 qui serait envoyée, à cent cinquante lieues, à un homme qu’elle ne connaît pas, qui s’attirerait une affaire capitale pour le plus médiocre intérêt, et qui mettrait dans le plus grand danger celui qui lui rendrait gratuitement service ? L’affaire a été extrêmement grave, elle à été portée au conseil des parties. On a voulu la criminaliser, et la renvoyer au parlement. C’est principalement monsieur le vice-chancelier dont les bontés et la justice ont détourné ce coup. Cette funeste affaire avait bien des branches. Vous ne devez pas être étonné du parti qu’on allait prendre, c’était le seul convenable ; et, quoiqu’il fût douloureux, on y était parfaitement résolu : car il faut prendre son parti sans pusillanimité dans toutes les occasions de la vie, tant que l’âme bat dans le corps. On risquait, à la vérité, de perdre tout son bien en France ; on jouait gros jeu ; mais, après tout, on avait brelan de roi quatrième 4. Je vous donne cette énigme à expliquer. J’ajouterai seulement qu’il y a des jeux où l’on peut perdre avec quatre rois, et qu’il vaut mieux ne pas jouer du tout. Je crois que la personne à laquelle vous daignez vous intéresser ne jouera de sa vie.
Cette affaire d’ailleurs a été aussi ruineuse qu’inquiétante ; et la personne en question 5 vous a une obligation infinie de la bonté que vous avez eue de la recommander à M. l’abbé de Blet.
On aura l’honneur, monseigneur, de vous envoyer, par l’ordinaire prochain, ce qui doit contribuer à vos amusements du carnaval 6 ou du carême ; il faut le temps de mettre tout en règle, et de préparer les instructions nécessaires. Si on n’avait que soixante-dix ans, ce qui est une bagatelle, on viendrait en poste avec ses marionnettes, et on aurait la satisfaction de vous voir dans votre gloire de Niquée 7.
Voici une requête d’une autre espèce que le griffonneur de la lettre 8 vous présente, et par laquelle il vous demande votre protection. Quoiqu’il s’agisse de toiles, il n’en est pas moins attaché à l’histoire ; et il croit que, s’il dirigeait les toiles de Voiron, il pourrait très commodément visiter tous les bénédictins du Dauphiné. Il saurait précisément en quelle année un dauphin de Viennois fondait des messes, ce qui serait d’une merveilleuse utilité pour le reste du royaume.
Voici à présent d’une autre écriture 9. Vous voyez, monseigneur, que celle de votre protégé s’est assez formée ; s’il continue, il se rendra digne de vous servir, ce qui vaudra mieux que l’inspection des toiles de son village. Je doute fort que M. de Trudaine déplace un homme qui est dans son poste depuis longtemps, pour favoriser un enfant de cet emploi.
Quoi qu’il en soit, je joins toujours sa requête 10 à cette lettre. Agréez le tendre et profond respect avec lequel je serai jusqu’au dernier moment de ma vie
V.
L’aventure de la sœur de Thurot n’est plus bonne qu’à oublier. »
1 Cette lettre de la main est écrite par Gallien, protégé de Richelieu ; voir lettre du 8 octobre 1766 à Richelieu : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/01/10/il-n-y-a-point-assurement-de-facon-de-pisser-plus-noble-que-6359638.html
2 L’affaire Le Jeune.
3 Voir lettre du 2 février 1767 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/05/30/dieu-est-juste-nous-ne-savons-point-encore-de-details-mais-n-6384490.html
Voyez la note de la lettre du 19 mars 1762 à Mme de Lutzelbourg : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome40.djvu/342
4Voir lettre du 9 février 1767 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/06/17/tachez-donc-enfin-que-ce-memoire-paraisse-avant-que-les-parties-soient-mort.html
Voltaire serait allé chercher asile chez l’un des quatre rois protecteurs des Sirven .
5 Voltaire ; il s’agit des deux cents louis versés par Richelieu.
6 La tragédie des Scythes ; voir lettre du 13 janvier 1767 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/05/07/s-il-n-est-pas-un-jour-votre-secretaire-vous-ne-pourrez-mieux-faire-que-de.html
7Niquée est une héroïne d'Amadis de Gaule . Voir lettre à d’Arnaud du 19 mai 1750 : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1750/Lettre_2085
8 Claude Gallien.
9 Celle de Wagnière et non de V* comme l'indiquent les éditions ..
10 Cette requête est donnée par l'édition de Kehl suivant la copie Beaumarchais : « Il y a à Voiron, village du Grésivaudan en Dauphiné, une fabrique de toiles, dont l'inspection ne se donnait qu’à un des habitants de l'endroit ; cependant une personne qui demeure à Romans, et qui possède déjà plusieurs autres inspections considérables a trouvé e moyen de se faire encore revêtir de celle-ci . / M. de Trudaine est le maître d'accorder ce petit appui au sieur Claude Gallien, natif de Voiron . Il soulagerait une famille nombreuse connue depuis très longtemps, domiciliée et estimée dans ledit endroit . Le père, l'oncle et les frères de Claude Gallien ont été au service ; son frère fut tué à Crewel [Crefeld], étant pour lors sans les volontaires de Dauphiné . C'était l'aîné de la famille ./ Claude Gallien, demande très humblement la protection de M. de Trudaine. »
Plus tard V* dira que Gallien est né à Salmorenc ; lettres à Hennin : 4 janvier 1768 : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/07/correspondance-annee-1768-partie-1.html
et 13 janvier 1768 : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/07/correspondance-annee-1768-partie-3.html
et voir : https://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journaliste/326-timoleon-gallien-de-salmorenc
et : https://www.charles-de-flahaut.fr/dauphine/affiches_grenoble/2015_04_10.pdf
00:03 | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.