28/04/2022
s’il n’est pas un jour votre secrétaire, vous ne pourrez mieux faire que de le faire agréer à la bibliothèque du roi, place très conforme au genre d’étude vers lequel il se porte avec une espèce de fureur
... Je vois bien ce conseil donné à E. Macron à propos de cette Perrette-Mélenchon qui se hausse du col pour réclamer le poste de premier ministre : ce serait risible si ce n'était un bluff gros comme l'orgueil de ce hableur . Le bordel risquerait d'être infailliblement à notre portée .
NDLR- Rédigé le 7 mai pour parution le 28 avril 2022.
« A Louis-François-Armand du Plessis, duc de Richelieu
13 janvier [1767] au soir, par Genève, malgré les troupes.
Après avoir eu l’honneur de recevoir votre lettre de Bordeaux, concernant Gallien, je vous écrivis, monseigneur, le 9 de janvier. Je reçois aujourd’hui votre lettre du 29, par laquelle je vois que je suis heureusement entré dans toutes vos vues, et que j’avais heureusement prévenu vos ordres concernant ce jeune homme.
Je suis encore fort incertain si je partirai ou non pour aller chez monsieur l’ambassadeur en Suisse, et de là régler mes affaires avec M. le duc de Virtemberg. Vous seriez d’ailleurs bien étonné de la raison principale qui peut me forcer d’un moment à l’autre à faire ce voyage. C’est un homme que vous connaissez, un homme qui vous a obligation, un homme dont vous vous êtes plaint quelquefois à moi-même, un homme qui est mon ami depuis plus de soixante années, un homme enfin qui, par la plus singulière aventure du monde, m’a mis dans le plus étrange embarras Je suis compromis pour lui de la manière la plus cruelle ; mais je n’ai à lui reprocher que de s’être conduit avec un peu trop de mollesse ; et, quoi qu’il arrive, je ne trahirai point une amitié de soixante années, et j’aime mieux tout souffrir que de le compromettre à mon tour. Je vous défie de deviner le mot de l’énigme, et vous sentez bien que je ne puis l’écrire ; mais vous devinez aisément la personne 1. Tout ce que je sais, c’est qu’il faut s’attendre à tout dans cette vie, se tenir prêt à tout, savoir se sacrifier pour l’amitié, et se résigner à la fatalité aveugle qui dispose des choses de ce monde.
Cela n’empêchera pas que je ne vous envoie ma tragédie des Scythes pour votre carnaval, dès que vous m’en aurez donné l’ordre ; cela vous amusera, et il faut s’amuser.
Je vous demande très humblement pardon de la prière que je vous ai faite 2; mais l’état où je suis m’y a forcé. Si je reste dans mes montagnes, nous serons obligés d’envoyer à dix lieues chercher des provisions, parce que la communication est interrompue avec Genève par des troupes ; nos fermiers se sont enfuis sans nous payer ; et, si je vais en Suisse et ailleurs, le secours que j’ai pris la liberté de vous demander ne me sera pas moins nécessaire.
Je suis bien de votre avis quand vous me marquez que Gallien 3 n’est pas encore en état de faire l’histoire du Dauphiné ; mais je pense qu’il est très à propos de lui laisser amasser les matériaux qu’il trouve dans ma bibliothèque, et dans celles de plusieurs maisons de Genève, où on se fait un plaisir de l’aider dans ses recherches. Il travaille beaucoup, et même avec passion ; il cultive sa mémoire, qui est, comme tout le monde en conviendra, tout à fait étonnante ; et, s’il n’est pas un jour votre secrétaire, vous ne pourrez mieux faire que de le faire agréer à la bibliothèque du roi, place très conforme au genre d’étude vers lequel il se porte avec une espèce de fureur. Quand même je ne serais pas à Ferney, il pourra toujours assembler ses matériaux dans ma bibliothèque et dans celles dont je vous ai parlé ; après quoi son style, que je ne trouve rien moins que mauvais, venant à se perfectionner au bout de quelque temps, on le confiera à quelque savant bénédictin du Dauphiné, pour en tirer les anecdotes les plus curieuses pour l’embellissement de l’histoire de cette province, pour laquelle il a un violent penchant, et sur laquelle il a déjà huit portefeuilles d’anecdotes et de recherches qu’il a faites depuis son arrivée, sans compter ce qu’il avait déjà recueilli dans l’endroit 4 où vous l’avez si judicieusement tenu pendant deux ans, temps qu’il a mis à profit, contre l’ordinaire. Enfin j’augure bien de cette histoire du Dauphiné. Cette province, heureusement pour lui, n’a pas un écrivain dont la lecture soit supportable. Elle peut être enfin le fondement de sa fortune.
En vous priant d’agréer mes hommages et ceux de Mme Denis, permettez que je vous envoie un fragment d’un endroit de ma lettre 5 à la personne dont je vous ai parlé . Vous verrez par là à quel homme j’ai affaire. Je vous conjure de me garder le plus profond secret.
V. »
1 D’Argental. Voltaire explique encore ici les choses à sa manière. (Georges Avenel.)
2 Voltaire, créancier de Richelieu, avait demandé deux cents louis à son débiteur ; voir lettre du 9 janvier 1767 à Richelieu : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/04/20/votre-banquier-de-bordeaux-peut-aisement-vous-avancer-pour-s-6377475.html
3 Voir lettre 6530 du 8 octobre 1766 à Richelieu : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/01/10/il-n-y-a-point-assurement-de-facon-de-pisser-plus-noble-que-6359638.html
4 Ce doit être quelque maison de correction.
5 La lettre précédente du 12 janvier 1767 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/04/24/les-ministres-s-etaient-fait-une-loi-de-ne-point-se-comprome-6378278.html
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