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26/10/2022

ayant enfin distillé le peu qui me reste de cerveau pour apaiser les Velches, et pour plaire aux bons Français, j’espère que tant de peines ne seront pas perdues

... A citer , immanquablement, dans les Mémoires d'Emmanuel Macron, textuellement ou peu s'en faut , pour décrire le bordel actuel.

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

22è Avril 1767 1

Je réponds à la lettre du 14, dont mon cher ange m’honore, dans le cabinet d’Elochivis 2, à deux grandes parasanges 3 de Babylone 4. Comme je suis à trois cent mille pas géométriques de votre superbe ville, et que vos Persans m’écrivent toujours des choses contradictoires, je suis très souvent le plus embarrassé de tous les Scythes ; mais je crois mon ange de préférence à tout. Je pense ne pouvoir mieux faire que de lui envoyer la pièce scythe, bien nettement ajustée. Si cet exemplaire ne suffit pas pour sa comédie, il sera aisé d’en faire encore un autre sur ce modèle. Je suis convaincu que tous les prétextes des ennemis leur étant ôtés, ayant sacrifié Il est mort en brave homme 5, qui est pourtant fort naturel ; ayant épargné aux gens malins l’idée de viol, qui pourtant est piquante ; ayant donné la raison la plus valable du mariage d’Obéide, raison prise dans l’amour même d’Obéide pour Athamare, raison touchante, raison tragique, raison même que mes anges ont toujours voulu que j’employasse ; ayant enfin distillé le peu qui me reste de cerveau pour apaiser les Velches, et pour plaire aux bons Français, j’espère que tant de peines ne seront pas perdues.

Ceux qui demandent que le mariage d’Obéide avec Indatire soit nécessaire n’entendent point les intérêts de leurs plaisirs. Cela est bon dans Alzire, cela serait détestable dans les Scythes. Les deux vieillards doivent faire un très grand effet au quatrième acte, s’ils peuvent jouer d’une manière attendrissante, et surtout si les Velches sont capables de faire réflexion que deux bonnes gens de quatre-vingts-ans, sans armes, et consignés à la porte par les gardes d’Athamare, ne peuvent commander une armée, surtout quand l’un des deux vieillards est évanoui. Le malheur de tous vos comédiens, c’est de jouer froidement ; ils n’ont point d’âme, ils n’arrivent jamais qu’à moitié. Je le dirai toujours, jusqu’à ce que je meure, les Scythes bien joués doivent faire un grand effet. Mme de La Harpe fait pleurer quand elle dit : 

Ah, fatal Athamare !

Quel démon t'a conduit dans ce séjour barbare ?

Que t’a fait Obéide ? etc.6 

et Mme Dupuits, qui a une voix touchante, augmente l’attendrissement. Il y a l’infini entre jouer avec art, et jouer avec âme.

Je vous ai soumis, mon cher ange, ma réponse à Mlle Saint-Val ; je n’ai écrit que des politesses vagues à Mlle Dubois ; je ne me suis engagé à rien . Vous savez que je ne ferai que ce que vous voudrez ; mais je vous répète encore qu’il faut reprendre les Scythes après Pâques, malgré la cabale, ou plutôt malgré les cabales, car il y en a quatre contre nous. Il faut que Mlle Durancy fasse pleurer afin que M. le maréchal de Richelieu ne la fasse pas enrager .

On fait une nouvelle édition des Scythes à Genève ; on en fait une en Hollande ; on en va faire une encore à Lyon : cela peut servir de prétexte à Lacombe pour diminuer un peu l’honoraire de Lekain ; mais il n’y perdra rien, il aura toujours ses six cents francs. Puisse-t-il être beau comme le jour, et être un amant charmant quand il viendra, au troisième acte, se jeter aux genoux d’Obéide ! puisse-t-il avoir une voix sonore et touchante ! puissent les confidents n’être pas des buffles ! puisse le seul véritable théâtre de l’Europe n’être pas entièrement sacrifié à l’opéra-comique !

Grâce au ridicule retranchement fait par la police à la première scène du cinquième acte, Sozame ne dit mot, et joue un rôle pitoyable ; je le fais parler de manière que la police n’aura rien à dire.

Je vous remercie tendrement vous et Elochivis . Je suis terriblement vexé si on ne réprime pas l’insolence des commis, je serai obligé d’aller mourir ailleurs.

Couple céleste, couple aimable, vous savez si vous m’êtes chers ! Mais ce que vous ne saurez jamais bien, c’est le bonheur et la félicité suprême que goûte mon cœur, des hommages purs qu’il vous rend chaque jour dans le temple d’hyperdulie. »

1 L'édition Vie privée enchaine à l’avant-dernier paragraphe un passage appartenant à la lettre du 24 janvier 1765 à d'Argental sauf en ce qui concerne les mots que nous plaçons en dernier alinéa, sans pouvoir en garantir l’authenticité : en effet l'original s'arrête en fin de quatrième page sur les mots mourir ailleurs .

Voir version http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/05/correspondance-annee-1767-partie-29.html

2 Anagramme de Choiseul ; voir lettre du 3 janvier 1767 à d'Argental . La fin de la même phrase semble renvoyer à l’atmosphère de La Princesse de Babylone .Voir : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/04/08/j-emporte-aux-enfers-ma-juste-indignation-6375571.html

3 Le mot parasange , d'origine persane, désigne une mesure de longueur équivalant à 5km.

4 Paris .

5 Supprimé dans Act. IV, sc. V. (G.A.)

6 Act. III, sc. IV.

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