09/12/2008
4 heures du mat'
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d’Argental
Votre amie |Emilie du Chatelet] a d’abord été bien étonnée quand elle a appris qu’un ouvrage aussi innocent que Le Mondain avait servi de prétexte à quelques uns de mes ennemis, mais son étonnement s’est tourné dans la plus grande confusion, et dans l’horreur la plus vive à la nouvelle qu’on voulait me persécuter sur ce misérable prétexte. Sa juste douleur l’a emporté sur la résolution de passer avec moi sa vie. Elle n’a pu souffrir que je restasse plus longtemps dans un pays où je suis traité si inhumainement. Nous venons de partir de Cirey, nous sommes à quatre heures du matin à Vassy où je dois prendre des chevaux de poste. Mais mon véritable, mon tendre et respectable ami, quand je vois arriver le moment où il faut se séparer pour jamais de quelqu’un qui a fait tout pour moi, qui a quitté pour moi Paris, tous ses amis , et tous les agréments de sa vie, quelqu’un que j’adore et que je dois adorer, vous sentez bien ce que j’éprouve. L’état est horrible. Je partirais avec une joie inexprimable, j’irais voir le prince de Prusse qui m’écrit souvent pour me prier d’aller à sa cour, je mettrais entre l’envie et moi un assez grand espace pour n’en être plus troublé, je vivrais dans les pays étrangers en Français qui respectera toujours son pays, je serais libre et je n’abuserais point de ma liberté, je serais le plus heureux homme du monde. Mais votre amie est devant moi qui fond en larmes. Mon cœur est percé. Faudra-t-il la laisser retourner seule dans un château qu’elle n’a bâti que pour moi, et me priver de ma vie parce que j’ai des ennemis à Paris ? Je suspends dans mon désespoir mes résolutions, j’attendrai encore que vous m’ayez instruit de la mesure ou de l’excès de fureur à quoi on peut se porter contre moi.
C’est bien assurément réunir l’absurdité de l’âge d’or et la barbarie du siècle de fer que de me menacer pour un tel ouvrage. Il faut donc qu’on l’ait falsifié. Enfin je ne sais que croire. Tout ce que je sais, c’est que je voudrais être ignoré de toute la terre et n’être connu que de vous et de votre amie. Elle vous mande aujourd’hui de ne point satisfaire la personne qui exige cet argent et à qui elle nous avait priés de le faire tenir. En contremandant ainsi ses premières volontés elle était déterminée à neuf heures du soir à me laisser partir. Mais moi je vous dis à présent à quatre heures du matin de concert avec elle : faites tout ce que vous croyez convenable. Si vous jugez l’orage trop fort, mandez-le moi à l’adresse ordinaire et j’achèverai ma route. Si vous le croyez calmé véritablement, je resterai. Mais quelle vie affreuse ! Etre éternellement bourrelé par la crainte de perdre sans forme de procès sa liberté sur le moindre rapport ! J’aimerais mieux la mort. Enfin je m’en rapporte à vous. Voyez ce que je dois faire. Je suis épuisé de lassitude, accablé de chagrin et de maladie. Adieu, je vous embrasse mille fois, vous et votre aimable frère.
Pourquoi Mlle Quinault ne m’aime–t-elle pas assez pour daigner recevoir un colifichet de ma part ? [Il avait demandé à Moussinot de lui faire livrer « un joli secrétaire »]
Voltaire
Ce dimanche 9 décembre 1736 à quatre heures du matin »
Pour Le Mondain voir : http://www.bacfrancais.com/bac_francais/215-voltaire-le-mondain.php
Une fois de plus notre héros est jeté sur les routes avec la colère gouvernementale sur la tête . Notre galopin ex-amoureux de Pimpette est aujourd’hui épris de la divine Emilie « quelqu’un que j’adore » et c’est vrai , ça lui fend le cœur. Il a 42 ans, juste la moitié de sa vie, et en a justement ras le bol de risquer de perdre de sa liberté : il est dans le collimateur du pouvoir comme on peut l’être encore dans bon nombre de pays actuels.
Ce qui m’épate quand même c’est sa faculté de ne pas perdre le sens pratique (fils de notaire, ça laisse des traces !) après avoir exprimé sa douleur être capable de parler argent , et tout « épuisé de lassitude » s’inquiète du devenir de ses cadeaux. Il aime aimer et être aimé, c’est évident et notre sautillant auteur philosophe na pas fini de nous séduire et nous agacer. Bientôt la suite de ses aventures…
11:12 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : voltaire, fuite, mondain, liberté, mort, cadeau
19/11/2008
sus aux fanatiques et aux fripons !
Lettre à Etienne -Noël Damilaville , le 19 novembre 1765 , à Ferney
.....
Détruisez les plates déclamations, les misérables sophismes, les faussetés historiques, les contradictions, les absurdités sans nombre ; empêchez que des gens de bon sens ne soient les esclaves de ceux qui n'en ont point. La génération naissante vous devra sa raison et sa liberté.
...
Je peux mourir cet hiver, et je ne veux point mourir sans avoir entre mes mains tout le dictionnaire philosophique. Je commencerai par lire l'article "Vingtième".
Voltaire
Il ne pensait pas que cette "génération naissante " allait faire une révolution pour enfin acquérir "sa raison et sa liberté", mais quel excellent esprit d'anticipation sur ce point là . Il était un maître dans l'art de désorganiser la désinformation, sans doute aussi parce qu'il était un artiste dans l'art de tromper son monde quand ça "sentait le roussi" pour lui-même . Qu'il en soit remercié d'un côté , et absout de l'autre.
18:16 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fanatiques, fripons, liberté