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15/04/2010

Il serait plaisant que ce rhinocéros eût du succès à la reprise

 http://www.youtube.com/watch?v=d93Yvmz4vuQ

 

 

Rhinoceros.jpg

 

 

 

 

 

 

« A Henri Lambert d’Herbigny, marquis de Thibouville

 

             A Potsdam 15 avril [1752]

 

             Le duc de Foix vous fait mille compliments aussi bien que M. son frère [personnages d’Amélie, nouvelle version de Adélaïde du Guesclin ; le 3 juin il dira aux d’Argental qu’il a adressé à Mme Denis « non pas Adélaïde, non pas Le Duc d’Alençon, mais Amélie », « avec des maires du palais au lieu de Charles VII, et des Maures au lieu d’Anglais »], ils voudraient bien que je vinsse à Paris vous les présenter, mais ils partent incessamment pour aller trouver Mme Denis dans la malle du premier courrier du nord. Vous les trouverez à peu près tels que vous les vouliez. Mais on s’apercevra toujours un peu qu’ils sont les enfants d’un vieillard. Si vous voulez les prendre sous votre protection tels qu’ils sont, empêchez surtout qu’on ne connaisse jamais leur père. Il faut absolument les traiter en  aventuriers. Si on se doute de leur famille, les pauvres gens sont perdus sans retour. Mais en passant pour les enfants de quelque jeune homme qui donne des espérances, ils feront fortune. Ce sera à vous et à Mme Denis à vous charger entièrement de leur conduite, et Mlle Clairon elle-même ne doit pas  être de la confidence. On me mande que l’on va redonner au théâtre le Catilina de Crébillon.[le 30 mars, dans le Journal de la Librairie, on lit « Le S. Crébillon a engagé les Comédiens Français de jouer Catilina à la rentrée, mais comme ils ne sont point dans ces sentiments, il les a menacés de leur faire faire par autorité ce qu’ils ne feront pas autrement. » ; pièce créée en 1748, reprise en 1756, sans succès]. Il serait  plaisant que ce rhinocéros eût du succès à la reprise. Ce serait la preuve la plus complète  que les Français sont retombés dans la barbarie. Nos sybarites deviennent tous les jours Goths et Vandales. Je laisse reposer Rome, et j’abandonne volontiers le champ de bataille aux soldats de Corbulon [= partisans de Crébillon]. Je m’occupe dans mes moments de loisir de rendre le style de Rome aussi pur que celui de Catilina est barbare et je ne me borne pas au style. Puisque me voilà en train de faire ma confession générale, vous saurez que Louis XIV partage mon temps avec les Romains et le duc de Foix. Je ne regarde que comme un essai l’édition qu’on a faite à Berlin du Siècle de Louis XIV. Elle ne me sert qu’à me procurer de tous les côtés des remarques et des instructions ; je ne les aurais jamais eues si je n’avais publié le livre [de la part de La Condamine, du maréchal de Richelieu, du maréchal de Noailles, des d’Argental ; il recevra même « des manuscrits de la main de Louis XIV »]. Je profite de tout, ainsi je passe ma vie à me corriger en vers et en prose. Mon loisir me permet tous ces travaux. Je n’ai rien à faire absolument auprès du roi de Prusse. Mes journées sont occupées par une étude agréable finissant par des soupers qui le sont davantage, et qui me rendent des forces pour le lendemain, et ma santé se rétablit par le régime. Nos repas sont de la plus grande frugalité, nos entretiens de la plus grande liberté, et avec tout cela je  regrette tous les jours Mme Denis et mes amis, et je compte bien les revoir avant la fin de l’année. J’ai écrit à M. de Malesherbes [10 avril 1752] que je suppliais très instamment d’empêcher que l’édition du Siècle de Louis XIV n’entrât dans Paris, parce que je ne trouve  point cet ouvrage encore digne du monarque ni de la nation qui en est l’objet. J’ai prié ma nièce de joindre ses sollicitations aux miennes pour obtenir le contraire de tout ce que les auteurs désirent, la suppression de mon ouvrage. Vous me rendrez, mon cher Monsieur, le plus grand service du monde en publiant autant que vous le pourrez mes sentiments. Je n’ai pas le temps d’écrire aujourd’hui à ma nièce, la poste va partir. Ayez la bonté d’y suppléer en lui montrant ma lettre. S’il y a quelque chose de nouveau, je vous prie de vouloir bien m’en faire part Soyez persuadé de la tendre amitié et de la reconnaissance qui m’attachent à vous pour jamais.

 

             V. »

 

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