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14/12/2010

Mon âme recommanda à mon corps de la suivre aux États . J'allai à Gex

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« A Anne-Madeleine-Louise-Charlotte-Auguste de La Tour du Pin de Saint-Julien

 

A Ferney 14è décembre 1775

 

Je n'ai point encore eu un plus beau sujet d'écrire à notre protectrice i. C'était mardi, douzième du mois, que je devais lui mander notre triomphe sur ceux qui s'opposaient au salut du pays, et qui avaient mis les prêtres dans leur parti. Mon âme recommanda à mon corps de la suivre aux États . J'allai à Gex tout malingre et tout misérable que j'étais. Je parlai, quoique ma voix fût entièrement éteinte. Je proposai au clergé d'accepter la bulle Unigenitus de M. Turgot, c'est-à-dire la taxe de trente mille livres ii, purement et simplement, avec une reconnaissance respectueuse. Tout fut fait, tout fut écrit comme je le voulais . Mille habitants du pays étaient dans les environs aux écoutes, et soupiraient après ce moment comme après leur salut malgré les trente mille livres. Ce fut un cri de joie dans toute la province. On mit des cocardes à nos chevaux, on jeta des feuilles de laurier dans notre carrosse. Nos dragons accoururent en bel uniforme, l'épée à la main. On s'enivra partout à votre santé, à celle de Turgot et de M. de Trudaine. On tira nos canons de poche toute la journée iii.

 

Je devais donc, Madame, vous écrire tout cela le mardi ; mais il fallut travailler à mille détails attachés à la grande opération. Il fallut envoyer des paquets à Paris. J'étais excédé, et je m'endormis. Ma lettre ne partira donc que demain vendredi 15è du mois. Et vous verrez par cette lettre qu'il n'y a point de joie pure dans ce monde, car pendant que nous passions doucement notre temps à remercier monsieur Turgot, et que toute la province était occupée à boire, les pandoures de la ferme générale, qui ne doivent finir la campagne qu'au 1er janvier, avaient des ordres secrets de nous saccager. Ils marchaient par troupes au nombre de cinquante, arrêtaient toutes les voitures, fouillaient dans toutes les poches, forçaient toutes les maisons, y faisaient le dégât au nom du Roi et obligeaient tous les paysans à se racheter pour de l'argent. Je ne conçois pas comment on n'a point sonné le tocsin contre eux dans tous les villages, et comment on ne les a point exterminés. Il est bien étrange que la ferme générale, n'ayant plus que quinze jours pour tenir leurs troupes chez nous en quartier d'hiver, ait pu leur permettre et même leur ordonner des excès si punissables. Les honnêtes gens ont été très sages, et ont contenu le peuple qui voulait se jeter sur ces brigands comme sur des loups enragés.

 

Puisse monsieur Turgot nous délivrer de ces monstres pour nos étrennes, comme il nous l'a promis.

 

Le palais Dauphin iv est bien loin d'être couvert. M. Racle nous avait flattés qu'il le serait au 1er novembre, mais tout s'est borné à des préparatifs, et à la piquer à coups de marteau de grandes pierres de roche, qui à mon gré ne conviennent point du tout à une maison de campagne. Il en a fini entièrement une pour lui, qui contient de grands magasins, et des appartements commodes, et qui coûte quatre fois moins. Tout le monde est persuadé que notre petit pays va s'enrichir et se peupler v. On s'empresse à me demander des maisons à toute heure. Mais je ne bâtis pas comme Amphion, et je n'ai plus de lyre. Tout va bientôt me manquer, mais j'aurai au moins achevé à peu près mon ouvrage, et je mourrai avec la consolation d'avoir été encouragé par vous.

 

Permettez-moi, Madame, de présenter mon respect à monsieur votre frère vi, et agréez l'attachement inviolable de votre protégé V, qui est à vous jusqu'à son dernier soupir. »

 

i Protectrice du pays de Gex, elle utilise ses relations pour aider V* à obtenir la liberté de commerce dans ce pays.Elle (1730-1820) a épousé François-David Bollioud de Saint-Julien, baron d'Argental (1713-1788), en 1754.

 

ii Chiffre fixé par Turgot pour le rachat du monopole des fermiers généraux ; cf. lettre du 8 décembre à Turgot.

http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/12/08/q...

 

iii Hennin, résident de France à Genève, le 19 décembre, donnera à Vergennes le détail de ce qui fut un jour de triomphe pour V* : quand il arriva aux États «  tout le monde se rangea autour de lui » ; le député du clergé le remercia ...; on adopta les conditions à l'unanimité ; ensuite « on pria M. de Voltaire d'aider les États de ses conseils dans la répartition de l'impôt et de continuer à s'occuper des avantages du pays dont il faisait le bonheur » ; à sa sortie le peuple rassemblé cria : « Vive le roi ! Vive M. de Voltaire ! », « orna ses chevaux de lauriers et de fleurs » ...; « il fut escorté par sa bourgeoisie de Ferney à cheval ; dans tous les villages où il passa mêmes acclamations, même profusion de lauriers » ; Hennin conclut : « Pour l'homme le plus sensible au bonheur de ses semblables, et à sa gloire personnelle, c'eût été certainement une journée bien brillante ; à plus forte raison pour M. de Voltaire qu'on peut dire qui réunit à l'excès ces deux sentiments »

 

iv Maison que Mme de Saint Julien se faisait construire et qui s'écroulera avant d'être finie.

 

v Ce qu'écrit effectivement le résident Hennin à Vergennes.

 

vi Le marquis de La Tour du Pin, devenu marquis de Gouvernet commandant de Bourgogne.

 

 

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