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08/12/2010

Qui vous empêchera, Monseigneur, de faire mettre vingt-cinq mille au lieu de trente mille, dans votre édit ?

 

 

 

« A Anne-Robert-Jacques Turgot

 

8è décembre 1775, à Ferney

 

Monseigneur,

 

Il faut encore que malgré vos immenses travaux, malgré les miens chétifs, malgré mon petit accident qu'on a honoré du nom d'apoplexie, et peut-être hélas ! malgré votre goutte, je vous fasse encore passer deux minutes à lire mes radoteries . Je vous dis comme à M. de Trudaine que je vais lundi 11 du mois dans nos États faire accepter votre arrêt i, purement et simplement comme la bulle Unigenitus, en dépit du premier ordre de l'État, qui est , dit-on, un peu rénitent.

 

Je regarde votre arrangement non seulement comme le salut de notre petite province, mais comme experimentum in anima vili, pour faire ailleurs de plus grandes opérations. L'article des corvées, surtout, est l'avantage du royaume . Et pour vos trente mille livres aux soixante colonnes de l'État ii, il faudra bien que nous les donnions, puisque vous croyez la chose juste.

 

Mais après avoir accepté, et signé, je vous demande hardiment une grâce, c'est l'aumône. Elle est de droit divin bien plus que la dîme et surtout bien plus que l'indemnité des trente mille livres. Je dis à chacun des soixante publicains : peccata tua eleemosinis redime iii, vous êtes maudits dans l'Évangile comme dans votre pays ; tâchez de gagner le royaume des cieux en vous faisant amicos ex mammona iniquitatis iv.

 

Qui vous empêchera, Monseigneur, de faire mettre vingt-cinq mille au lieu de trente mille, dans votre édit ? Songez, je vous en conjure, que nous sommes , de compte fait, le plus pauvre canton du royaume, que nous payons tout sur le fonds de nos terres, et que nos terres couvertes de glace pendant cinq mois de l'année ne rendent pas trois pour un. Songez que le corps des fermiers généraux est après celui des bernardins et des bénédictins le corps le plus riche du royaume, et qu'une aumône de cinq mille francs ne fut jamais mieux placée.

 

D'ailleurs, en vérité ces soixante rois des aides et gabelles méritent-ils tant de libéralité de votre part ? ne savez-vous pas tous les tours qu'ils veulent vous jouer, et tous les bruits ridicules qu'ils font courir ? n'êtes-vous pas précisément dans le cas où était le duc de Sully quand tant de financiers et de suppôts de financiers s'élevaient contre sa probité éclairée ? Il est bien juste de les condamner à une amende de cinq mille francs en faveur des pauvres de Gex qui vous bénissent.

 

Nous vous supplions surtout de vouloir bien, en faisant ce traité avec les soixante rois de France, leur signifier de retirer leurs troupes v au 1er janvier. Leurs grenadiers jouent de leur reste ; ils se croient dans un pays ennemi, et ils le désolent. Mais surtout paccata tua eleemosinis redime.

 

Je me mets à vos pieds goutteux ; et mon âme particulièrement se met aux pieds de la vôtre.

 

LE VIEUX MALADE DE FERNEY V. »

 

 

i  Qui concerne le rachat du monopole du sel aux fermiers généraux, l'expulsion de leurs commis et l'abolition des corvées.                                               Cf. lettres du 29 août à Moultou,31 août à de Vaines, 5 octobre à Mme de Saint-Julien, du 5 octobre à Turgot.http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/08/28/a...

http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/08/31/m...

 

ii  Les soixante fermiers généraux.

 

iii  Rachète tes péchés par des aumônes.

 

iv  (Fais toi )des amis avec l'argent de l'injustice.

 

v  Leurs employés.

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