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21/12/2010

faire encor de si beaux coups, Et d'être entre les deux genoux D'une coquine fraiche et belle .

Rédigé le 22 juillet 2011 pour parution le 21 décembre 2010

 

Dieu seul sait, et encore il n'en est pas sûr, ce qui se passa dans la chambre de Volti, une froide, -mais peut-être aussi torride,- journée de décembre 1772 ! Acceptons la version du principal intéressé . Un jour peut-être aurai-je aussi tous mes membres qui trembleront en compagnie d'une belle jeune femme ? Je fais des voeux pour ne pas m'évanouir .

 

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 http://melaniegribouillis.ultra-book.com/portfolio#imagin...

 

 

 

« A Louis-François-Armand du Plessis, duc de Richelieu

 

A Ferney, 21è décembre 1772

 

Quoi ! Toujours la cruelle envie

Poursuit ma réputation !

On dit qu'une nymphe jolie

Dans ma dernière maladie

M'a donné l'extrême-onction,

Et que j'emporte en l'autre vie

Ce peu de satisfaction ;

Voyez l'horrible calomnie !1

 

Seigneur, il n'appartient qu'à vous,

A votre jeunesse immortelle

De faire encor de si beaux coups,

Et d'être entre les deux genoux

D'une coquine fraiche et belle .

 

Je sens que je suis au tombeau.

Cet état me fait de la peine,

Mais il ne faut pas qu'un roseau

Vive aussi longtemps que le chêne.

 

Mon héros exige que je lui conte le fait, parce qu'il veut être instruit de ce que ses sujets jeunes et vieux font dans son empire . Je lui dirai donc comme devant mon Dieu que Mme Denis faisant les honneurs d'un grand dîner, je mangeais dans ma chambre un plat de légumes, ainsi que vous en usâtes quand vous honorâtes mon taudis de votre présence . Une belle demoiselle de la compagnie plus grande que Mme de Ménage 2 de deux doigts, plus jeune, plus étoffée, plus rebondie, vint me consoler . Les Genevois sont malins, et les calvinistes sont toujours bien aises de jeter le chat aux jambes des papistes, mais le fait est que cette auguste demoiselle me faisait trembler tous les membres, et que si je m'évanouis, c'était de crainte et de respect .

 

Je vous jure que j'aurais plutôt fait la scène de Sylla, de César et de Pompée 3 dont vous me parlez que je n'aurais fait un couplet avec cette belle personne . Depuis que j'ai des lettres de capucin 4, je mets toutes ces impostures au pied de mon crucifix, et je ne dis à personne : ouvrez le loquet .

 

Au reste je présume toujours que les princesses de la comédie sont partout sous vos lois ainsi que dans leurs lits, et que vous êtes toujours le maître des autres à table, au lit et à la guerre .

 

Comme je crois que vous l'êtes aussi au spectacle, j'ai rapetassé toute la Sophonisbe, et j'aurai l'honneur de vous en envoyer deux exemplaires, l'un pour vous, l'autre pour la Comédie . Je ne suis pas bien sûr que vos ports soient francs de Lyon à Paris ; je sais seulement qu'ils sont exorbitants . Je vous demande vos ordres pour savoir si je dois faire partir ce paquet sous votre nom ou celui de M. le duc d'Aiguillon .

 

Je suis bien sensible à toutes les peines que mon héros daigne prendre d'écarter les sifflets préparés pour Les Lois de Minos . A l'égard de Sylla, cette entreprise était aisée pour le père de La Rue 5 et est fort difficile pour moi . Je vous avoue que je baisse beaucoup quoi qu'en disent mes panégyristes et ceux de la belle demoiselle qu'on suppose avoir eu pour moi tant de bontés . Il me semble que le goût de ma chère nation est un peu changé ; et si vous me permettez de vous le dire , je crois qu'elle n'est pas plus digne d'entendre Sylla, Pompée et César, que je ne suis digne de les faire parler . Cependant , s'il me venait quelque idée heureuse, je l'emploierais bien vite pour vous faire ma cour, mais les idées viennent comme elles veulent . Ma plus chère idée serait de ne point mourir sans avoir la consolation de vous revoir encore ; je ne suis le maître ni de chasser cette idée ni de l'exécuter . Je suis bien sûr seulement que ma destinée est de vous être attaché jusqu'à la mort avec le plus tendre respect.

 

Le vieux malade de Ferney

à qui on fait trop d'honneur . »

 

 

 

1 La Correspondance littéraire parle des « étranges bruits qui ont couru sur la conduite du seigneur patriarche pendant le mois dernier », et rapporte le « conte » que l'on a « bâti », donne le nom de la demoiselle : Mlle de Saussure, parente de la nouvelle Mme de Florian,

(Mme Rilliet de Saussure)

et ajoute « M. le maréchal de Richelieu a voulu tenir la vérité des faits du prétendu coupable lui-même, en l'assurant que le roi voulait qu'il se ménageât davantage ».

V* écrit à Hennin le 20 janvier : « On m'a fait mille fois trop d'honneur . Cette belle calomnie a été jusqu’au roi »

Selon Du Pan : « On a presque autant parlé à Paris de l'aventure de V* que du détronement de sa Catau »

2 Rappel du fait que , comme le rappelle Du Pan , le maréchal « étant à Ferney … s'enferma pendant un grand diner avec Mme Ménage »

3 Le maréchal lui a demandé de corriger la fin du quatrième acte de sa Sophonisbe .

4 Il a été fait père temporel des capucins de Gex ; voir lettre à Choiseul du 18 février : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/02/23/le-dieu-d-israel-est-irrite-contre-les-enfants-de-jacob-qui.html

5Auteur d'une tragédie nommée Sylla «  remplie de … brailler et (de) raisonné », qu'on attribua à Corneille à la suite d'une erreur de lecture, comme le racontait V* à Richelieu le 2 décembre : page 106 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k800416/f111.image.r=.langFR

 

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