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21/12/2010

Je déteste les poules mouillées, et les âmes faibles

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Dédicace du XXIè siècle à l'insomniaque du XVIIIè :

http://www.deezer.com/listen-7928223

 

Continuons à prendre sans modération l'antidote à la morosité : Voltaire, et suivons ses conseils diététiques avec modération, tout comme lui : un demi-setier de bon vin par repas !

 En cette période où l'on parle plus de dinde et de chapon (l'eunuque, neuneu, qui va se faire dévorer puceau ! ),  n'oublions pas celle qui fit l'oeuf qui nous embrouille : La Poule :

http://www.deezer.com/listen-7928223

 

 

« A Marie de Vichy de Chamrond, marquise du Deffand

 

21è décembre 1768

 

Madame, Madame, les imaginations ne dorment point i, et quand même elles prendraient en se couchant une dose des oraisons funèbres de l'évêque du Puy ii et de l'évêque de Troyes iii, le diable les bercerait toujours. Quand la marâtre nature nous prive de la vue, elle peint les objets avec plus de force dans le cerveau . C'est ce que la coquine me fait éprouver. Je suis votre confrère des Quinze-Vingts dès que la neige est sur mon horizon de quatre-vingt lieues de tour. Le diable alors me berce beaucoup plus que dans d'autres saisons. Je n'ai trouvé à cela d'autre exorcisme de celui de boire ; je bois beaucoup, c'est-à-dire un demi-setier à chaque repas iv ; et je vous conseille d'en faire autant ; mais il faut que ce soit d'excellent vin. Personne de mon temps n'en avait de bon à Paris.

 

L'aventure du président Hénault est assurément bien singulière v. On s'est moqué de moi avec des Beloste et des Bélestat vi. On m'assure aujourd'hui que c'est un homme d'un très grand nom, et que vous connaissez vii. Je ne veux rien croire, ni même chercher à croire. L'abbé Boudot a eu la bonté de fureter à la bibliothèque du roi . Il en résulte qu'il est très vrai qu'aux premiers états de Blois dont vous ne vous souciez guère, on donna trois fois au parlement le titre d'états généraux au petit pied viii. Je ne pense point du tout que les parlements représentent les états généraux sur quelque pied que ce puisse être et quand même j'aurais acheté une charge de conseiller au parlement pour quarante mille francs, je ne me croirais point du tout partie des états généraux de France. Mais je ne veux point entrer dans cet discussion, et me brouiller avec tous les parlements du royaume, à moins que le roi ne me donne quatre ou cinq régiments à mes ordres. De toutes les facéties qui sont venues troubler mon repos dans ma retraite, celle-ci est la plus extraordinaire .

 

L'A.B.C. est un ancien ouvrage traduit de l'anglais, imprimé en 1762 ix. Cela est fier, profond, hardi. Cette lecture demande de l'attention. Il n'y a point de ministre, point d'évêque en deçà de la mer à qui cet A.B.C. puisse plaire. Cela est insolent, vous dis-je, pour les têtes françaises. Si vous voulez le lire, vous qui avez une tête de tout pays, j'en chercherai un exemplaire et je vous l'enverrai ; mais l'ouvrage a un pouce d'épaisseur. Si votre mère a ses ports francs comme votre beau-père x, je le lui adresserai pour vous .

 

Il faut que je vous conte ce qu'on ne sait pas à Paris. Le singe de Nicolet, qui demeure à Rome xi, s'est avisé de canoniser non seulement Mme de Chantal xii à qui St François de Sales avait fait deux enfants, mais il a canonisé un frère capucin nommé frère Cucufin d'Ascoli. J'ai vu le procès-verbal de la canonisation xiii. Il y est dit qu'il se plaisait fort à se faire donner des coups de pied dans le cul par humilité, et qu'il répandait exprès des œufs frais et de la bouillie sur sa barbe, afin que les profanes se moquassent de lui, et qu'il offrit à Dieu leurs railleries.

 

Railleries à part, il faut que Rezzonico soit un grand imbécile. Il ne sait pas encore que l'Europe entière rit de Rome comme de St Cucufin.

 

Je sais pourtant qu'il y a encore des Hottentots, même à Paris ; mais dans dix ans il n'y en aura plus, croyez moi sur parole . Quoiqu'il en soit, Madame, buvez, dormez, amusez-vous le moins mal que vous le pourrez, supportez la vie, ne craignez point la mort que Cicéron appelle la fin de toutes les douleurs ; Cicéron était un homme de fort bon sens. Je déteste les poules mouillées, et les âmes faibles . Il est trop honteux d'asservir son âme à la démence et à la bêtise de gens dont on n'aurait pas voulu pour ses palefreniers. Souvenons-nous des vers de l'abbé de Chaulieu :

Plus j'approche du terme et moins je le redoute.

Sur des principes sûrs mon esprit affermi,

Content, persuadé, ne connait plus le doute,

Des suites de ma fin je n'ai jamais frémi.xiv

 

Adieu, Madame, je baise vos mains avec mes lèvres fort plates ; et je vous serai attaché jusqu'à mon dernier moment. »

 

i Mme du Deffand s'est plainte d'insomnies dans sa lettre du 13 décembre et demanda « du Voltaire » pour les supporter.

 

ii Jean-Georges Lefranc de Pompignan, qui a prononcé l'oraison funèbre de la reine le 11 août 1768.

iii Mathias Poncet de La Rivière qui a prononcé entre autres l'oraison funèbre de Louise-Élisabeth de France, duchesse de Parme, le 12 février 1760.

iv Soit un peu moins d'un quart de litre.

v Voir les reproches faits à l'œuvre historique de Hénault dans l'Examen critique ... attribué à Bélestat et attribué à La Beaumelle par V* ; cf. lettres du 18 septembre à d'Argental, et du 26 octobre à Mme Denis. http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/09/18/d...

http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/10/26/m...

vi Le 28 novembre, à Marmontel , il dit « qu'il n'y a point de marquis de Bélestat » bien qu'il ait reçu de Montpellier deux lettres signées de ce nom. Il va recevoir une lettre datée du 20 décembre où le marquis revendique la paternité de l'ouvrage en spécifiant qu'il n'a pas à en rougir.

vii Le 13 décembre, Mme du Deffand lui demandait de citer le nom de l'auteur qu'il avait « découvert » après avoir parlé de « La Beaumelle, Beloste, Bélestat » et « détruire » ainsi les soupçons qui pesaient sur lui .

viii Cette affirmation que V* a remarquée dans l'Examen critique ..., était complétée de « qu'il est étrange qu'aucun historien n'ait parlé d'un fait si public. »

ix L'A.B.C., dialogue curieux traduit de l'anglais de M. Huet, daté 1762, en réalité de Genève 1768, de V*. http://www.voltaire-integral.com/Html/27/16_A-B-C.html

Et voir Note 26 page 286 : http://books.google.fr/books?id=MwHgAAAAMAAJ&pg=PA287...

x Duc et duchesse de Choiseul , cette dernière étant nommée le plus souvent comme « la grand-maman » dans les lettres à Mme du Deffand (qui en fait a quarante ans de plus que la duchesse).

xi Nicolet , directeur de la Comédie italienne, avait effectivement un singe savant, mais ici V* parle du pape Clément XIII, né Rezzonico.

xii Jeanne-Françoise Frémyot, baronne de Chantal, fondatrice avec saint François de Sales de l'ordre de la Visitation, canonisée en 1767 . http://fr.wikipedia.org/wiki/Jeanne_de_Chantal

http://home.infionline.net/~ddisse/chantal.html

xiii Cf. sa Canonisation de saint Cucufin. http://www.voltaire-integral.com/Html/27/19_Cucufin.html

xiv Le dernier vers est réellement : « Je ne suis libertin, ni dévot à demi . », premier quatrain de la deuxième des Trois Façons de penser sur la mort .Page 12 : http://books.google.fr/books?id=zpw-AAAAYAAJ&pg=PA3&a...

 

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