20/10/2011
Un ami vaut mieux que le public
« A Claude-Nicolas Thieriot
A Lyon , le 3 décembre [1754]
Votre lettre, mon ancien ami, m'a fait plus de plaisir que tout l’enthousiasme et toutes les bontés dont la ville de Lyon m'a honoré . Un ami vaut mieux que le public . Ce que vous me dites d'une douce retraite avec moi, dans le sein de l'amitié et de la littérature, me touche bien sensiblement . Ce ne serait peut-être pas un mauvais parti pour deux philosophes qui veulent passer tranquillement leurs derniers jours . J'ai avec moi, outre ma nièce, un florentin 1 qui a attaché sa destinée à la mienne . Je compte m'établir dans une terre sur les lisières de la Bourgogne 2, dans un climat plus chaud que Paris, et même que Lyon, convenable à votre santé et à la mienne .
Je n'étais venu à Lyon uniquement que pour voir M. le maréchal de Richelieu qui m'y avait donné rendez-vous . C'est une action de l'ancienne chevalerie . Dieu, qui éprouve les siens, ne l’a pas récompensée . Il m'a affublé d'un rhumatisme goutteux qui me tient perclus . On me conseille les eaux d'Aix en Savoie, on les dit souveraines ; mais je ne suis pas encore en état d'y aller, et je reste au lit en attendant .
Le hasard , qui conduit les aventures de ce monde, m'a fait rencontrer au cabaret à Colmar et à Lyon, Mme la margrave de Baireuth, sœur du roi de Prusse, qui m'a accablé de bontés et de présents . Tout cela ne guérit pas les rhumatismes . Ce que je redoute le plus, ce sont les sifflets dont on menace la Pandore de Royer ; c'est un des fléaux de la boîte . Cet opéra, un tant soit peu métaphysique, n'est point fait pour votre public . M. Royer a employé M. de Sireuil, ancien porte-manteau du roi, pour changer ce poème, et le rendre plus convenable au musicien . Il ne reste de moi que quelques fragments ; mais, malgré tous les soins qu'on a pu prendre sans me consulter, je crains également pour le poème et pour la musique . Si on a quelque justice, on me doit tout au plus que le tiers des sifflets .
A l'égard de Jeanne d'Arc, native de Domrémy 3, je me flatte que la dame 4 qui la possède, par une infidélité, ne fera pas celle de la rendre publique . Une fille ne fournit point de pucelles .
Je vous prie, mon ancien ami, de présenter mes hommages à la chimiste, à la musicienne, à la philosophe 5 chez qui vous vivez . Elle me fait trembler ; vous ne la quitterez pas pour moi .
Mme Denis vous fait ses compliments . Je vous embrasse de tout mon cœur . Quand vous aurez un quart d'heure à perdre, écrivez à votre ancien ami .
Qu'est devenu Ballot-l'imagination ?6 Comment se porte Orphée-Rameau ?
Quid agis ?7 Quomodo vales ?8 Farewell . 9»
Voir ce qu'il relate sur sa biographie et ses relations avec V* : http://books.google.fr/books?id=Fi8HAAAAQAAJ&pg=PA207&lpg=PA207&dq=cosimo+alessandro+colini&source=bl&ots=hooFk7WdH5&sig=rM4xh13_g7s3M7l_m9wY4mbQ2x4&hl=fr&ei=JlGgToWIPManhAengZnyBA&sa=X&oi=book_result&ct=result&resnum=3&ved=0CC0Q6AEwAg#v=onepage&q&f=false
3 Domrémy-la-Pucelle, à quelques lieues de Cirey-le Château, ou Cirey-Voltaire comme on l'a nommé au XIXè siècle, ou Cirey-sur-Blaise de nos jours .
5 Mme de La Popelinière, qui mourra le 22 octobre 1756 . Voir : http://jp.rameau.free.fr/deshayes-bio.htm
6 Probablement Sylvain Ballot de Sovot, avocat au parlement, qui mourra en 1761. Il écrivit le livret de l'opéra Pygmalion de Rameau, -d'après l'ouvrage de La Motte-Houdard,- considéré comme le meilleur opéra en un acte du musicien .
Voir page 226 : http://visualiseur.bnf.fr/CadresFenetre?O=NUMM-23420&I=240&M=imageseule
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