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29/08/2012

Heureusement nous avons du temps devant nous

... Pour lire et accompagner Voltaire, avec Mam'zelle Wagnière .

 "0 pauvre nature humaine ! à quoi tiennent nos cervelles, notre vie, notre bonheur"

Bon , moi chat va bien !

 J'attends mon maître .

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« A M. le comte d'ARGENTAL.

Aux Délices, 10 novembre [1756].

Mon très-cher ange, il y a longtemps que je ne vous ai parlé du tripot 1. M. le duc de Villars est venu de Provence dans mon ermitage, et il a insisté sur Zulime comme vous-même. Je l'avais engagé à venir se faire guérir, par le grand Tronchin, d'un petit rhumatisme que le soleil de Marseille et d'Aix n'avait pu fondre. A peine est-il arrivé que j'ai été pris d'un rhumatisme général sur tout mon pauvre corps, et notre Tronchin n'y peut rien. Il me reste une main pour vous écrire mais il n'y a pas chez moi une goutte de sang poétique qui ne soit figée. Heureusement nous avons du temps devant nous. Vous savez comment s'est terminée la pièce de Pirna 2, par des sifflets. Il a rendu enfin le livre de Poésie 3 le voilà libre, sans armée et sans argent. On est désespéré à Vienne. Le diable de Salomon l'emporte et l'emportera. S'il est toujours heureux et plein de gloire, je serai justifié de mon ancien goût pour lui s'il est battu, je serai vengé.
J'espère que vous verrez bientôt Mme de Fontaine, qui a été sur le point de mourir aux Délices pour avoir abusé de la santé que Tronchin lui avait rendue, et pour avoir été gourmande. M. le maréchal de Richelieu me mande que ce qui paraît faisable à votre amitié et à la bonté de votre cœur ne l'est guère à la prévention. Je m'en suis toujours douté, et je crois connaître le terrain. Il faut que votre archevêque reste à Conflans, et moi aux Délices chacun doit remplir sa vocation. La mienne sera de vous aimer, et de vous regretter jusqu'à mon dernier moment. On me mande qu'il y a une édition infâme de la Pucelle 4, que cet honnête homme de La Beaumelle avait fait imprimer, et qu'on débite dans Paris; mais heureusement les mandements font plus de bruit que les Pucelles.
Vous ne m'avez jamais parlé de l'état de M. de La Marche 5. Je voulais qu'il vînt se mettre entre les mains de Tronchin, mais on dit qu'il est dans un état à ne se mettre entre les mains de personne. 0 pauvre nature humaine ! à quoi tiennent nos cervelles, notre vie, notre bonheur . Portez-vous bien, vous, Mme d'Argental, et tous les anges; et conservez-moi une amitié qui embellit mes Délices, qui me console de tout, et qui seule peut me rendre quelque génie. »

 

1 Voltaire désignait ainsi la Comédie française en particulier, et quelquefois aussi ce qui concernait le théâtre en général.

3 Voltaire, parlant des revers du roi de Prusse, dit qu'il a rendu enfin le livre de poésie, par allusion aux mauvais traitements que Freytag avait fait essuyer à Voltaire sous prétexte de ravoir l'œuvre de poésie. Pour les épisodes de la Guerre de Sept ans voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_de_Sept_Ans

4 II est douteux que La Beaumelle ait été l'éditeur de cette édition de la Pucelle. (Beuchot.)

5 Claude-Philippe Fyot de la marche, ami du collège Louis le Grand .

 

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