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22/10/2013

Tout le monde avoue qu'il faut être philosophe, qu'il faut être libre, et presque personne ne l'est .

... Alors chantons "fais comme l'oiseau ..."

 Pie 3 14

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« A Charlotte-Sophie von Altenburg, comtesse Bentinck

à Lausanne

Aux Délices 9 septembre 1758

Vous voulez donc bien, madame, honorer de votre présence mes petits pénates champêtres mercredi 1. Vous êtes accoutumée à notre médiocrité, vous avez déjà bien voulu vous en contenter . Nous vous recevrons avec l'ancienne franchise et l'ancienne pauvreté suisse . Les affaires sont aussi délabrées en France qu'ailleurs , les particuliers qui y ont malheureusement leur bien, s’en ressentent . La terre est couverte de morts et de gueux dont quelques fripons ont les dépouilles .

Je n'ai nulle nouvelle des détails de la nouvelle victoire du Salomon du Nord , et je suis toujours très fâché de l'erreur où l'homme au triangle 2 est sur mon compte . Mais il faut prendre le parti de compter tous ces gens là pour rien et de vivre doucement pour soi et pour ses amis . Si Dieu vous fait jamais cette grâce, vous serez alors aussi heureuse qu'on peut l'être et que je le désire . Tout le monde avoue qu'il faut être philosophe, qu'il faut être libre, et presque personne ne l'est .

Je vous présente mes chagrins et mes respects .

V. »

1 Dans une lettre non datée, de septembre/octobre de cette année, la comtesse écrit à Haller : « j'ai passé douze ou treize jours aux Délices chez les nièces de M. de Voltaire, qui vous rendent la justice la plus parfaite . Mme Denis qui me paraît une personne fort raisonnable et fort obligeante voudrait savoir l'allemand, qu'elle déteste,puisqu'on le parle à Francfort ; uniquement pour pouvoir avoir le bonheur de vous lire . »

2 Le chancelier Kaunitz, appelé ainsi par V*, parce qu'il a réalisé la triple alliance entre la France, l'Empire austro-hongrois et la Russie ; et aussi allusion à sa maison : voir lettre du 15 mai 1756 à la comtesse : « Vous aurez donc, madame, votre procès à Vienne, vos meubles à Bâle et votre personne à Venise . Vous allez apprendre l'italien et vous gouterez bientôt le plaisir d'entendre M. Metastasio;mais il est triste d'apprendre sa langue loin de lui . Vous devenez donc savante . Vous fixez précisément l’endroit où Marc-Aurèle écrivait ses pensées sur les bords du Danube, permettez que je réponde à votre érudition par des sentiments .

Marc-Aurèle autrefois des princes le modèle,

Sur les devoirs des rois écrivait en ces lieux ;

Et Thérèse fait à nos yeux

Tout ce qu'écrivait Marc Aurèle.

Cela pourrait servir d'inscription aux masures de votre Cornuntum . Remarquez en passant, madame, que les empereurs romains auraient été bien étonnés si on leur avait dit qu'il y aurait un jour autant de politesse à Vienne qu'à Rome, avec d'autre mérite que les Romains ignoraient . Vous me demandez un nom pour la maison de campagne du comte Kaunitz , il serait beaucoup plus aisé de s'expliquer sur le maître que sur la maison . Je sais à quel point ses grâces et son esprit ont réussi à Paris . Je sais combien on l’y respecte et on l'aime . Je suis bien moins instruit sur ses jardins . Il les appellera comme il lui plaira, il est bien juste qu'on nomme les enfants que l'on a faits . Si vous êtes marraine vous vous servirez des noms d'agrément et de goût pour baptiser la maison . Vous dites que son jardin est un triangle, un géomètre voudra qu'on l'appelle triangle, un savant en grec le nommera Carite, qui revient à peu près à favori . Mon petit ermitage auprès de Genève s'appelle insolemment les Délices, parce que je vois le lac, deux rivières, une ville, cent maisons de campagne et j'ai des fruits excellents .Mais , madame, puisque vous allez sur la Brenata au lieu de venir vers mon lac, je vais changer le nom de ma retraite, elle s'appellera les Regrets . Je suis à présent dans mon autre ermitage et c'est dans ces deux maisons que j'essaie d'être philosophe et que je continue de vous être attaché pour jamais avec le plus tendre respect .

Pardonnez-moi, si j'ai dicté la lettre, j'ai la fièvre et je suis de tous les malades celui qui vous est le plus dévoué. »

 

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