02/02/2014
On tremble de laisser échapper un mot qui peut être mal interprété, on ne peut plus penser par la poste
... Electronique, la poste électronique, rassurez-vous chers lecteurs . Le progrès est tel que les bonnes vieilles feuilles de papier couvertes de notre plus belle écriture sont le meilleur garant de la discrétion que doit garder tout échange d'écrits personnels , le meilleur mais avec une foule d'exceptions laissées à l'appréciation de fonctionnaires guette-au-trou . Le cabinet noir, ou quelle que soit sa couleur actuelle que je verrais bien caca d'oie, n'en a pas fini de sévir . A qui se fier ?
Big Brother , tu n'as qu'à piocher sans fin dans nos blogs, SMS, Tweets, MMS, etc. Puisses-tu en crever d'indigestion et faire péter tes serveurs et f... un mal de crâne carabiné à tes gestionnaires humains .
« A Marie de Vichy de Chamrond, marquise du Deffand 1
Aux Délices 12 janvier [1759]
Libre d'ambition, de soins et d'esclavage,
Des sottises du monde éclairé spectateur,
Il se garda bien d'être acteur,
Et fût heureux autant que sage .
Il fuyait le vain nom d'auteur,
Il dédaignait de vivre au temple de mémoire,
Mais il vivra dans votre cœur,
C'est sans doute assez pour sa gloire .
Les fleurs que je jette, madame, sur le tombeau de notre ami Formont,2 sont sèches et fanées comme moi . Le talent s'en va, l'âge détruit tout ; que pourriez-vous attendre d'un campagnard qui ne sait plus que planter et semer dans la saison ? J'ai conservé de la sensibilité, c'est tout ce qui me reste, et ce reste est pour vous, mais je n'écris guère que dans les occasions .
Que vous dirais-je du fond de ma retraite ? Vous ne me manderiez aucune nouvelle de la roue de la fortune sur laquelle tournent nos ministres du haut en bas, ni des sottises publiques, ni des particulières . Les lettres qui étaient autrefois la peinture du cœur, la consolation de l'absence, et le langage de la vérité, ne sont plus que de tristes et vains témoignages de la crainte qu'on a d'en trop dire, et de la contrainte de l'esprit . On tremble de laisser échapper un mot qui peut être mal interprété, on ne peut plus penser par la poste 3; je n'écris point au président Hénault ; mais je lui souhaite comme à vous une vie longue et saine . Je dois la mienne au parti que j'ai pris . Si j'osais je me croirais sage, tant je suis heureux . Je n'ai vécu que du jour où j'ai choisi ma retraite . Tout autre genre de vie me serait insupportable . Paris vous est nécessaire ; et il me serait mortel 4. Il faut que chacun reste dans son élément . Je suis très fâché que le mien soit incompatible avec le vôtre ; et c'est assurément ma seule affliction . Vous avez voulu aussi essayer de la campagne mais elle ne vous convenait pas . Il vous faut une société de gens aimables, comme il fallait à Rameau des connaissances en musique . Le goût de la propriété et du travail est d'ailleurs absolument nécessaire dans des terres . J'ai de très vastes possessions que je cultive . Je fais plus de cas de votre appartement que de mes blés et de mes pâturages ; mais ma destinée était de finir entre un semoir, des vaches et des Genevois . Ces Genevois ont tous une raison cultivée, et ils sont si raisonnables qu'ils viennent chez moi, et qu'ils trouvent bon que je n'aille jamais chez eux . On ne peut, à moins d'être La Popelinière, vivre plus commodément ; voilà ma vie, madame, telle que vous l'avez devinée, tranquille et occupée, opulente et philosophique, et surtout entièrement libre ; elle vous est absolument consacrée dans le fond de mon cœur, avec le respect le plus tendre, et l'attachement le plus inviolable .
V. »
1L'édition de Kehl introduisit des corrections arbitraires , notamment Mme de Pompadour pour La Popelinière .
2 Vers le 5 janvier, Mme du Deffand écrit à V* : « Je croyais que vous m'aviez oubliée, monsieur, je m'en affligeais sans m'en plaindre, mais le plus grande perte que je pouvais jamais faire et qui met le comble à mes malheurs, m'a rappelée à votre souvenir ; […] mais , monsieur, pourquoi refusez vous à mon ami un mot d'éloge ? Sûrement vous l'en avez trouvé digne, vous faisiez cas de son esprit, de son goût, de son jugement, de son cœur et de son caractère ; [...]pourquoi se serait-il loué que par moi ? Quatre lignes de vous soit en vers soit en prose honoreraient sa mémoire et seraient pour moi une vraie consolation. »
3 A cause du « cabinet noir » censure postale non officielle, d'un type toujours pratiqué par certains pays ; aujourd'hui le courrier électronique est encore plus exposé à la divulgation que le courrier-papier . Voltaire n'apprécierait pas cet espionnage non plus .
4 Tristement prémonitoire pour mai 1778 !
23:55 | Lien permanent | Commentaires (0)
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