16/03/2014
Il est digne d'un homme de votre probité et de vos grands talents de refuser à un scélérat une protection qui honorerait des gens de bien
... Les scélérats ne manquant pas, où trouver un homme probe et de talent ?
« Au baron Albrecht von HALLER 1.
« Nous soussignés déclarons que le nommé François Grasset nous ayant volé pendant l'espace de dix-huit ans, ou à peu près, qu'il nous a servi en qualité de commis, le magnifique Conseil nous fit demander en l’année 1756 une déclaration de ce qui s'était passé ; que nous nous conformâmes à cet ordre, et la donnâmes à M. l'auditeur de Normandie ; en l'accompagnant des pièces qui pouvaient constater ses friponneries . Ensuite de quoi le magnifique Conseil le décréta de prise de corps .
Les Frères Cramer .
Genève le 11 février 1759 »
Voici, monsieur, un petit certificat qui peut servir à faire connaître ce Grasset pour lequel on réclame très-instamment votre protection. Ce malheureux a fait imprimer à Lausanne 2 un libelle abominable contre les mœurs, contre la religion, contre la paix des particuliers, contre le bon ordre. Il est digne d'un homme de votre probité et de vos grands talents de refuser à un scélérat une protection qui honorerait des gens de bien. J'ose compter sur vos bons offices, ainsi que sur votre équité. Pardonnez à ce chiffon de papier . Il n'est pas conforme aux usages allemands, mais il l'est à la franchise d'un Français qui vous révère plus qu'aucun Allemand.
Un nommé Verleche ou Lervèche, ci-devant précepteur de M. Constant, est auteur d'un libelle sur feu M. Saurin. Il est ministre d'un village, je ne sais où, près de Lausanne. Il m'a écrit deux ou trois lettres anonymes sous votre nom. Tous ces gens-là sont des misérables bien indignes qu'un homme de votre mérite soit sollicité en leur faveur 3.
Je saisis cette occasion de vous assurer de l'estime et du respect avec lesquels je serai toute ma vie,
monsieur
votre très humble et très obéissant serviteur
VOLTAIRE
gentilhomme ordinaire de la chambre
du roi, comte de Tournay
A Tournay au pays de Gex par Genève, 13 février [1759] »
1Le certificat de la main de Wagnière est signé par Gabriel Cramer ; on ne connait pas moins de seize autres copies manuscrites de cette lettre que V* dut faire largement circuler .
Le texte inexact des éditions modernes dérive de Kehl, qui place la lettre en 1755, et qui l'emprunte aux Lettres de 1766 comme le montre la coupure ; le texte, marqué pour l'omission, est restitué par Condorcet qui note : « Il s'agissait de ce manuscrit de La Pucelle que Grasset voulait faire acheter à M. de Voltaire en le menaçant de le publier . Si M. de Haller s'était rappelé combien la conduite de ce Grasset était infâme, combien la crainte de M. de Voltaire était fondée, il aurait sans doute , tout bon calviniste qu'il était, répondu d'un ton moins magistral .
Un étranger se présente chez M. de Voltaire, et lui raconte qu'il a vu à Berne M. de Haller . m. de Voltaire le félicite sur le bonheur qu'il a eu de voir un grand homme . Vous m'étonnez dit l'étranger, M. de Haller ne parle certainement pas de vous de la même manière . Eh bien, répliqua M. de Voltaire, il est possible que nous nous trompions tous deux. » Condorcet s'était, bien sûr, trompé en rapportant cette lettre à l'incident de La Pucelle en 1755 .
2 V* a ajouté de sa main Lausanne au dessus de la ligne .
3 Le 17 février 1759, Haller répondra en souhaitant à V* « la tranquillité qui fuit devant le génie, qui ne le vaut pas par rapport à la société, mais qui vaut bien davantage par rapport à nous-mêmes. »
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