28/08/2014
A pack of rogues / Une bande de fripons
... Non ! non! affreux mal intentionnés, je ne parle pas des membres de l'ancien gouvernement, ni des nouveaux . L'histoire se chargera d'en estimer la valeur .
« A Jean Vasserot de Châteauvieux 1
en sa maison
à Genève
A Tournay 30 [juillet 1759] au soir
Monsieur de Châteauvieux est trop bon 2. Betens me paraît un imbécile fût-il encore plus proche parent du général Betens . Les Choudens 3 sont étranges, le Pignier non moins étrange . Sur le conseil que je lui donnai de s'accommoder il alla porter son argent à Gex pour plaider . A pack of rogues,4 disent les Anglais .
La mère de Betens m'a fait pitié . Je voudrais secourir ce pauvre homme, mais je déclare aux Choudens que je n'en ferai rien .
A vous mon cher Cicéron je déclare que je ferai tout ce que je pourrai, mais je n'ai plus d'argent . J'ai tout dilapidé . Betens n'a pas trop bien géré . J'ai à me plaindre de lui . Cependant je ferai l'impossible pour le tirer de la geôle , il faut qu'il obtienne de Mme de La Bâtie sûreté pour ce que je pourrai prêter si je prête , que je ne sois plus aussi horriblement dupe que par le passé . Je vais de Tournay à Ferney, la tête me tourne de labourage, de sémature 5, et de fumier . Virgile avait raison de dire sordida rura 6. Tu causas acuis 7, mais la cause de Betens me parait désespérée . Il faut que vous soyez le plus humain des hommes, le plus compatissant pour descendre à tous ces détails . Je vous respecte et je vous embrasse .
V. »
1 Banquier genevois : page 121 : http://books.google.fr/books?id=8OeIuM_DusQC&pg=PA121...
et « Avocat » de Voltaire . Voir : http://www.sothebys.com/fr/auctions/ecatalogue/lot.pdf.PF...
2 Voir lettre du 14 août 1759 : « A Monsieur, Monsieur Vasserot, de Chateauvieux,
Mardi soir, arrivant aux Délices.
Mon cher Cicéron, vous êtes compatissant. Pignier père est un ivrogne, Pignier fils un fripon, Betens un imbécile.
Je ne parle point de Pasteur et Choudens, ce sont citoyens seigneurs que je respecte.
L'argent pour la terre Choudens est tout prêt et déposé depuis longtemps. Il se trouve que j'ai déjà avancé à Pignier fils de l'argent sur son hypothèque. Nouvel embarras, nouvelle friponnerie de Pignier fils. Quant à la vente pure et
simple que Choudens m'a faite d'un bien qui ne lui appartient pas, et qui lui est seulement engagé par Pasteur pour une somme très modique, n'est-ce pas une espèce de stellionat, ou pis? (ce bien qui n'est pas à lui est le seul bon
champ de son domaine. Autre impaccio.
Pour ce pauvre Betens, je le plains, mais quand je lui prêterai 4 375 fl[orins], unique somme qu'on puisse lui avancer avec apparence de sûreté, le tirera-t-on de la geôle?
Je suis prêt de l'en tirer à ce prix, non que j'aie le moindre besoin de lui, car c'est un lambin qui ne m'était bon à rien, non plus qu'à lui-même, et un quart d'heure après que je le sus encagé je me pourvus d'un autre régisseur installé à Tournay. Mais je suis comme vous, j'ai compassion de ce pauvre diable. Indépendamment de tout ce tracas, j'ai une envie extrême d'avoir l'honneur de diner avec vous.
V. »
Le philosophe, ayant remis Choudens en état de cultiver son petit bien, se réserva cependant la faculté de vendre la terre pour se dédommager, précaution qui le fit accuser par M. de Brosses de l'avoir achetée « à vil prix ». Accordons à M. de Brosses qu'il devait être dur, pour le paysan, d'occuper à titre précaire une terre possédée librement par ses pères. Mais serait-il moins dur de mourir en prison? Et si Bétens, plus tard, fut expulsé de son domaine, ne devait-il pas s'en prendre à sa propre ingratitude? « Je n'ai pas voulu, dit Voltaire, être la dupe du bien que je lui ai fait. »
3 Propriétaire d’une terre avoisinante de Ferney acquise par Voltaire . Voir aussi : http://www.sothebys.com/fr/auctions/ecatalogue/lot.pdf.PF...
Faire recherche Choudens dans : https://archive.org/stream/voltaireseigneur00causuoft/vol...
4 Une bande de fripons .
5 Mot du patois genevois désignant ce qui est semé à un endroit donné .
6 Virgile, Bucoliques II, 28-29 : Sordida rura, Atque humiles habitare casas : Habiter de tristes campagnes et d'humbles maisons .
7 Toi, tu fourbis tes causes . Echo d'Horace ; Epîtres, I, iii, 23 .
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