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13/11/2014

que de châteaux en Espagne nous avons bâtis! Il est vrai que ce n'est pas actuellement en France qu'on en fait d'agréables

... Aurait pu dire le secrétaire d'Etat au Budget Christian Eckert en déclarant: "On ne peut pas graver dans le marbre une situation qui dépend d'un contexte international que nous ne maîtrisons pas", ce qui laisse à penser que nous n'avons que des châteaux de sable .

 chateau-de-sable.jpg

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
A Tournay, 5 novembre [1759] par Genève.
Divins anges, les députés de votre hiérarchie 1 vous auront peut être rendu compte de la descente qu'ils ont faite dans nos cabanes. Baucis et Philémon ont fait de leur mieux. Deux tragédies en deux jours ne sont pas une chose ordinaire dans les vallées du mont Jura. Mme de Chauvelin nous a payés comme les sirènes, en chantant d'une manière charmante, et en nous ensorcelant. J'ai retrouvé monsieur l'ambassadeur tout comme je l'avais laissé, il y a environ quatorze ans, ayant tous les moyens de plaire, sans avoir lu Moncrif 2, et expédiant dans ce département dix ou douze personnes à la fois. J'ai retrouvé ses grâces et ses mœurs faciles et indulgentes, que ni les Corses ni les Allobroges n'ont pu diminuer. Vous savez que, malgré cette envie et ce don de plaire à tout le monde, vous avez le fond de son cœur, dont il distribue l'écorce partout. Nous nous sommes trouvés tous réunis par le plaisir de vous aimer. Combien nous avons tous parlé de vous ! combien nous vous avons regrettés ! et que de châteaux en Espagne nous avons bâtis! Il est vrai que ce n'est pas actuellement en France qu'on en fait d'agréables. Les nouvelles foudroyantes qui nous ont atterrés coup sur coup ne paraissent pas rendre le séjour de Paris délicieux.
Divins anges, je ne me sens porté ni à revoir Paris ni à y envoyer mes enfants. Notre Chevalerie demande, ce me semble, à être jouée dans un autre temps que celui de l'humiliation et de la disette. Nous l'avons jouée trois fois sur mon théâtre de marionnettes, dans ma masure de Tournay ; deux fois devant les Allobroges et les Suisses, sans avoir la moindre peur. Mais, quand il a fallu paraître devant vos députés, nos jambes et nos voix ont tremblé. Nous avons pourtant repris nos esprits, et nous avons fait verser des larmes aux plus beaux et aux plus vilains visages du monde, aux vieilles et aux jeunes, aux gens durs, aux gens qui veulent être difficiles. Les deux députés célestes ont vu qu'en un mois de temps nous avions profité de tous les commentaires de Mme Scaliger. Je leur laisse le soin de vous mander tout ce qu'ils pensent de la pièce et des acteurs.
Vous serez sans doute surpris que la Chevalerie ne vous parvienne pas avec ma lettre ; mais il faut que vous conveniez que trois représentations doivent éclairer assez un auteur pour lui faire encore retoucher son tableau. Il a été d'abord esquissé avec fougue, il faut le finir avec réflexion. Passez, encore une fois, Vamir et Spartacus 3; passez. J'augure beaucoup du gladiateur, et je souhaite passionnément que Saurin réussisse. Mon cher ange, je crois que cet hiver doit être le temps de la prose, du moins pour moi. Saurin d'ailleurs a besoin d'un succès pour sa considération et pour sa fortune. Je vous avoue que, si j'ai aussi quelque petit succès à espérer, je le veux dans un temps moins déplorable que celui où nous sommes. Je veux que certaines personnes 4 aient l'âme un peu plus contente. Ce n'est pas à des cœurs ulcérés qu'il faut présenter des vers ; c'est aux âmes tranquilles, et douces et sensibles, à la fois, comme la vôtre.
Mérope-Amènaïde-Denis vous fait mille compliments, et moi, je vous adore plus que jamais.

V. »

1 Les Chauvelin . Voir lettre du 31 octobre 1759 à Jacob Tronchin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/11/10/il-nous-faut-des-gens-aimables-5486798.html

2 Allusion à l'ouvrage de Moncrif, intitulé Essais sur la nécessité et sur les moyens de plaire ; http://books.google.fr/books?id=ZLmz3XtsqbwC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

V* y fait allusion dans Jeannot et Colin ; voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-30401420.html

3Sur ces pièces, voir la lettre du 24 octobre 1759 à d'Argental :http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/10/24/on-paye-cher-les-malheurs-de-nos-generaux.html

Dans la phrase qui suit, Passez est ajouté au-dessus de la ligne ; dut-il même payer mes sentiments d'ingratitude, omis dans la copie de l'édition de Kehl manque dans les éditions suivantes .

4 La Pompadour, entre autres.

 

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