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28/12/2014

ce monde-ci est une pauvre mascarade ; je conçois à toute force comment on peut dissimuler ses opinions pour devenir cardinal ou pape ; mais je ne conçois guère qu'on se déguise sur le reste

... Cardinal, pape, président, sénateur, député et autre bandes d'élus ... Mais rassurons nous, tout ça "c'était avant" (comme dit ma pauvre mère) et 2015 va tout changer , en bien, évidemment ! le compte à rebours est commencé , je prépare mes yeux, mes oreilles et mes quelques neurones qui ont survécu au gavage de niaiseries, à un monde plus franc .

 

 Fixez le centre de l'image 20 secondes puis regardez votre voisin(e) . Eh oui , la vérité est trou/tremblante !

 

« A Saverio Bettinelli 1

18è décembre 1759, aux Délices près de Genève

Votre souvenir, monsieur, m'est bien cher, et il m'est si doux de recevoir de vos nouvelles, que je veux beaucoup de mal au jeune homme que vous chargeâtes de votre paquet à Vérone, et qui ne me l'a fait rendre qu'au bout de deux mois 2; vous écrivez si bien dans ma langue que je n'ose vous répondre dans la vôtre ; d'ailleurs ma mauvaise santé me force à dicter, et mon secrétaire n'a pas comme moi le bonheur d’entendre cette belle langue italienne à laquelle vous prêtez de nouveaux charmes ; si j'étais moins vieux, et si j'avais pu me contraindre, j'aurais certainement vu Rome, Venise et votre Vérone ; mais la liberté suisse et anglaise, qui a toujours fait ma passion, ne me permet guère d'aller dans votre pays voir les frères inquisiteurs, à moins que je n'y sois le plus fort ; et comme il n'y a pas d'apparence que je sois jamais général d'armée, ni ambassadeur, vous trouverez bon que je n'aille point dans un pays où l'on saisit aux portes des villes les livres qu'un pauvre voyageur a dans sa valise . Je ne suis point du tout curieux de demander à un jacobin, à un dominicain, permission de parler, de penser et de lire ; et je vous dirai ingénument que ce lâche esclavage de l'Italie me fait horreur . Je crois Saint Pierre de Rome fort beau, mais j'aime mieux un livre anglais écrit librement , que cent mille colonnes de marbre . Je ne sais pas de quelle liberté vous me parlez auprès du monte Baldo 3; je ne connais d'autre liberté que celle de ne dépendre de personne ; c'est celle où je suis parvenu après l'avoir cherchée toute ma vie . J'ai eu le bonheur d'acquérir dans le voisinage de la petite maison où vous m'avez vu, des terres absolument libres et par conséquent faites pour moi ; la félicité que je me suis faite redoublera par votre commerce, je recevrai avec la plus tendre reconnaissance, les instructions que vous voulez bien me promettre sur l'ancienne littérature italienne , et j'en ferai certainement usage dans la nouvelle édition de l’Histoire générale ; histoire de l'esprit humain beaucoup plus que des horreurs de la guerre, et des fourberies de la politique ; je parlerai des gens de lettres beaucoup plus au long que dans les premières ; parce qu'après tout ce sont eux qui ont civilisé le genre humain ; l'histoire qu'on appelle civile et religieuse n'est que le tableau de la sottise et des crimes .

Je fais grand cas du courage avec lequel vous avez osé dire que Dante était un fou, et son ouvrage un monstre ; j'aime encore mieux pourtant ce monstre que tous les vermisseaux appelés Sonetti qui naissent et qui meurent par milliers dans l'Italie, de Milan jusqu'à Otrante 4. Algarotti a donc abandonné le triumvirat comme Lépidus ?5 Je crois que dans le fond il pense comme vous sur le Dante 6, il est plaisant que même sur ces bagatelles, un homme qui pense n'ose dire son sentiment qu'à l'oreille de son ami ; ce monde-ci est une pauvre mascarade ; je conçois à toute force comment on peut dissimuler ses opinions pour devenir cardinal ou pape ; mais je ne conçois guère qu'on se déguise sur le reste ; ce qui me fait aimer l’Angleterre c'est qu'il n'y a d'hypocrisie en aucun genre; j'ai transporté l'Angleterre chez moi, estimant d'ailleurs infiniment les Anglais et les Italiens, et surtout vous, monsieur, dont le génie et le caractère sont faits pour plaire à toutes les nations, et qui mériteriez d'être aussi libre que moi .

E saro sempre di cuore moi signore il vr hmo , e vero stre 7.

V.

Je trouve en ce moment dans votre paquet de beaux vers latins de M. Casarotti 8, je voudrais bien l'en remercier, mais je n'ai point son adresse ; d'ailleurs je suis très incommodé, et vous voyez d'ailleurs que je ne peux écrire de ma main . »

2On ne connait que quelques phrases de cette lettre du 10 Novembre 1759 de Bettinelli .

3 A l'est du lac de Garde, près de Vérone, où s'était fixé Bettinelli . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Monte_Baldo

4 Otrante ou Tarante, partie la plus méridionale de l'Italie . http://fr.wikipedia.org/wiki/Otrante

6 Voir Arturo Farinelli, Dante e Francia d'all' et à media al secolo di Voltaire, 1908, prend argument de cette lettre pour établir l'influence de Dante sur la France à cette époque . Voir : https://archive.org/stream/danteelafranciad00fari#page/n3/mode/2up

7 Je serai toujours de tout mon cœur, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur .

8 Melchiore Cesarotti, qui devait traduire plus tard, en 1780 à Padoue, une pièce de V* sous le titre La Semiramide . Suivant une copie de la présente lettre conservée à la bibliothèque communale de Mantoue, Carteggio Bettinelliano, Voltaire, n°4, il avait envoyé à V* quelques vers d'hommage . Voir : http://laboratoireitalien.revues.org/545

 

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