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09/02/2016

Vous savez agir comme écrire

... Si au moins c'était vrai ! si au moins la seule action de certains ne se résumait pas en activité littéraire, en verbiage, en vent !

Beaux parleurs, mouillez la chemise, descendez de vos perchoirs et cessez d'être de ces superbes va-en-guerre en pantoufles du type "armons-nous ! et partez !"

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« A Jean Le Rond d'Alembert

A Ferney pays de Gex 9 février [1761]

Mon cher et grand philosophe, vous devenez plus nécessaire que jamais aux fidèles, aux gens de lettres, à la nation . Gardez-vous bien d'aller jamais en Prusse . Un général ne doit point quitter son armée . J'ai vu un extrait de votre discours à l'Académie 1. En vérité vous faites luire un nouveau jour aux yeux des gens de lettres . Je sais avec quelle bonté vous avez parlé de moi 2. J’y suis d'autant plus sensible que vous me couvrez de votre égide contre les gueules des cerbères . Mais mon intérêt n'entre pour rien dans mon admiration . – Pouvez-vous me confier le discours entier ? Vous savez que je n'ai pas abusé de la première faveur 3. Je serai aussi discret sur la seconde .

M. de Malesherbes insulte la nation en permettant les infâmes personnalités de Fréron . On aurait dû lui faire déjà un procès criminel . Ce n'est pas là de Malesherbes que je parle . De quel droit ce malheureux ose-t-il insulter Mlle Corneille ? et dire que son père qui a un emploi à cinquante francs par mois la tire de son couvent pour la faire élever chez moi par un bateleur de la foire ? Une calomnie si odieuse est capable d'empêcher cette fille de se marier . Mon cher philosophe je vous jure que nous donnons à Mlle Corneille l'éducation que nous donnerions à une Montmorency ou à une Châtillon, si on nous l'avait confiée . Nous y mettons nos soins, notre honneur. Si on ne punit pas Fréron, on est bien lâche . J'espère encore dans les sentiments d'honneur qui animent M. Titon et M. Le Brun . Il n'y a qu'à faire signer une procuration au bonhomme Corneille et la chose ira d'elle-même .

Vous n'avez pas probablement toute l'épître d'Abraham Chaumeix à Mlle Clairon : la voici 4. Je ne crois pas qu'il faille la publier sitôt . Il faut attendre du moins que Clairon soit guérie et Fréron châtié .

Ne mettez-vous point Diderot dans l'Académie ? Personne ne respecte l'abbé Le Blanc plus que moi, mais je ne crois pas qu'avec tout son mérite il doive passer devant Diderot . Un grand homme comme lui devrait au contraire employer son crédit pour procurer à M. Diderot cette faible consolation de toutes les injustices qu'il a essuyées .

Nous remettons tout à votre prudence . Vous savez agir comme écrire .

Votre Chaumeix ne s'appelle-t-il pas Sinon 5 dans son nom de baptême ? N'est-il pas détaché par quelque Ulysse, et Omer n'est-il pas dans le cheval ?

Il y a des gens assez mal avisés pour dire que le petit singe à face de Tersite 6 s'appelle un Omer dans le pays des singes – voyez la méchanceté . Je pense que voici le temps de faire sentir aux pédants en rabat, en soutane, en perruque et en cornette qu'on les brave autant qu'on les méprise .

Pour moi qui n'ai que deux jours à vivre je les mettrai à persécuter les persécuteurs mais surtout je les mettrai à vous aimer .

V. »

1 Le 19 janvier 1761, d'Alembert a prononcé ce discours intitulé « Réflexions sur l'Histoire » , qui parut ultérieurement dans les éditions de ses œuvres .Voir et écouter : http://www.litteratureaudio.com/livre-audio-gratuit-mp3/alembert-d-reflexions-sur-l%E2%80%99histoire-et-sur-les-differentes-manieres-de-l%E2%80%99ecrire.html

2 Dans ses Réflexions, d'Alembert fait allusion au secours que V* apporte à « la famille du grand Corneille. »

3 Voir lettre de D'Alembert à V* du 22 septembre 1760 [ https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_%28d%E2%80%... ] annonçant l'envoi de ses Réflexions sur la poésie […] lues à l'occasion de la distribution des prix de poésie pour 1760 à L'Académie française à la fin desquelles d'Alembert avait fait l éloge de V* poète épique, dont le seul tort était « d'être français et vivant » . D'Alembert précisait : « Personne au monde n'en a de copies que vous, et je compte qu'elle ne sortira pas de vos mains . » Voir aussi page 291 : https://books.google.fr/books?id=DxBkz5nf7WAC&pg=PA54...

6 Sur cette nouvelle « scie » de V*, voir la lettre du 30 janvier 1761 aux d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/01/29/un-petit-singe-ignorant-indocile-au-sourcil-noir-au-long-et-5752265.html

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