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22/07/2016

si vous étiez comme moi exposée à donner à dîner tous les jours à des Russes, à des Anglais, à des Allemands, vous seriez un peu embarrassée d’être Française.

... Répète François Hollande à sa Julie préférée .

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« A Marie de Vichy de Chamrond, marquise du Deffand

à Saint-Joseph

à Paris

18è august 1761 au château de Ferney

J’ai connu des gens, madame, qui se plaignaient de vivre avec des sots, et vous vous plaignez de vivre avec des gens d’esprit. Si vous avez imaginé que vous retrouveriez la politesse et les agréments des La Fare et des Saint-Aulaire, l’imagination des Chaulieu, le brillant d’un duc de La Feuillade, et tout le mérite du présent Hénault, dans nos littérateurs d’aujourd’hui, je vous conseille de décompter.

Vous ne sauriez, dites-vous, vous intéresser à la chose publique. C’est assurément le meilleur parti qu’on puisse prendre : mais si vous étiez comme moi exposée à donner à dîner tous les jours à des Russes, à des Anglais, à des Allemands, vous seriez un peu embarrassée d’être Française.

Je m’occupe du temps passé pour me dépiquer du temps présent. Je crois qu’il vaut mieux commenter Corneille que de lire ce qu’on fait aujourd’hui. Toutes les nouvelles affligent, et presque tous les nouveaux livres impatientent.

Mon commentaire impatientera aussi ; car il sera fort long. C’est une entreprise terrible que de discuter Cinna et Agésilas, Rodogune et Attila, le Cid et Pertharite. Je ne crois pas que, depuis Scaliger, il y ait eu un plus grand pédant que moi. L’ouvrage contiendra sept ou huit gros volumes  cela fait trembler.

Vous devez, madame, avoir actuellement M. le président Hénault : il faut que vous me protégiez auprès de lui. J’ai envoyé à l’Académie l’Epître dédicatoire, que je crois curieuse ; la préface sur le Cid, dans laquelle il y aussi quelques anecdotes qui pourront vous amuser ; les notes sur le Cid, sur les Horaces, sur Cinna, Pompée, Heraclius, Rodogune, qui ne vous amuseront point, parce qu’il faut avoir le texte sous les yeux.

Je voudrais bien que M. le président Hénault prît tout cela chez monsieur le secrétaire, et qu’il en dît son avis à M. de Nivernais. Je crois qu’il conviendrait qu’ils allassent tous deux à l’Académie, et qu’ils me jugeassent ; car il me faut la sanction de la compagnie, et que l’ouvrage, qui lui est dédié, ne se fasse que de concert avec elle. Je ne suis point du tout jaloux de mes opinions ; mais je le suis de pouvoir être utile, et je ne peux l’être qu’avec l’approbation de l’Académie. C’est une négociation que je mets entre vos mains, madame ; celle de M. de Bussy 1 sera plus difficile.

Vous vous plaignez de n’avoir rien qui vous occupe : occupez-vous de Pierre Corneille, il en vaut la peine par son sublime et par l’excès de ses misères.

Je vous sais bon gré, madame, de lire l’Histoire d’Angleterre par Thoyras 2. Vous la trouverez plus exacte, plus profonde et plus intéressante que celle de notre insipide Daniel. Je ne pardonnerai jamais à ce jésuite d’avoir plus parlé de frère Cotton que de Henri IV, et de laisser à peine entrevoir que ce Henri IV soit un grand homme.

Si vous aimez l’histoire, je vous en enverrai une dans quelques mois 3, qui est fort insolente, et que je crois vraie d’un bout à l’autre ; mais actuellement laissez-moi avec le grand Corneille.

Je vous réitère, madame, les remerciements de ma petite élève, qui porte un si beau nom, et qui ne s’en doute pas. Je me mets aux pieds de madame la duchesse de Luxembourg. Adieu, madame ; vivez aussi heureuse qu’il est possible ; tolérez la vie : vous savez que peu de personnes en jouissent. Vous vous êtes accoutumée à vos privations ; vous avez des amis, vous êtes sûre que quand on vient vous voir, c’est pour vous-même. Je regretterai toujours de n’avoir point cet honneur, et je vous serai attaché bien véritablement jusqu’au dernier moment de ma vie. »

1 Envoyé en Angleterre pour préparer les bases d'une pacification générale .

3 La nouvelle édition de l'Essai sur les moeurs ; voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/tag/essai%20sur%20les%20moeurs/3

 

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