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20/08/2016

j'espère que je trouverai quelque Anglais qui ira en Italie acheter des copies qu'il prendra pour des originaux, et des médailles qu'il croira antiques

... La réputation du commerce de la contrefaçon italienne n'est plus à faire, ils sont doués pour écouler la camelote asiatique . L'Anglais semble être le gogo idéal , il a l'argent et il se croit un expert pour tout ce qui touche l'art, vrai , du temps de Voltaire, encore vrai à l'ère du Brexit qui dénote une attirance certaine pour les couillonnades . Une culture de footeux, ça n'arrange pas les choses ...

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« Au comte Francesco Algarotti

Au château de Ferney 14 septembre 1761

Vous pourriez bien me dire, mon aimable cygne de Padoue,

Tam raro scribis ut toto quater in anno 1.

Ce n'est pas même quater ; mais je suis si vieux, mes yeux sont si faibles, mes occupations sont si horriblement multipliées, que je ne peux pas disposer d'un moment, passant la moitié de la journée à souffrir et l'autre à travailler .

On m'a proposé dans l'Académie française de donner un recueil des auteurs classiques du siècle de Louis XIV, avec ce que les savants appellent un commentaire perpétuel . J'ai choisi Corneille pour ma part . Ce n'est pas un petit emploi que d'avoir trente-deux pièces de théâtre à commenter : mais ayant chez moi l'héritière du nom de Corneille, il fallait bien que je me chargeasse du grand-père, comme de la petite fille . L'ouvrage est revu par l'Académie, et je crois qu'il sera utile aux étrangers qui savent notre langue, et aux Français qui souvent ne la savent pas .

On ne saurait trop se donner de l'occupation dans la vieillesse . Il n'y a que cette façon de se consoler des plaisirs qui nous fuient . Je bâtis à la fois une église et un théâtre ; ils ne sont pas, je l'avoue, dans le goût de Palladio, mais j'ai l'insolence de croire que vous seriez content de mon petit château . Il est fort triste d'y mourir sans vous avoir vu . Si jamais vous retournez à Berlin, n'est-il pas vrai que vous passerez par chez nous ?

Vous m'avez demandé quand je vous enverrais le second tome de Pierre le Grand . Ce sera quand madame sa fille aura le loisir de me communiquer des mémoires ; car je n'en ai pas de quoi composer quatre feuilles . On croit avoir donné des matériaux à un historien, quand on lui a envoyé la charge d'un mulet de détails militaires, de marches et contre-marches . Vous qui avez le nez fin, vous savez si c'est là ce qu'il me faut . Mais vous, homme aimable et universel, quels sont vos plaisirs, et vos travaux ? Vous ne savez point à quel point j'aime tous vos ouvrages . Il me semble que depuis Galilée, il n'y a que vous qui instruisiez avec agrément . Vous êtes né avec un talent bien rare que vous avez perfectionné, et ce talent c'est le goût, divinité très inconnue à la plupart des philosophes .

Je pourrais dans quelques mois vous envoyer un petit paquet dont vous ne seriez pas fâché ; mais comment vous le faire parvenir ? j'espère que je trouverai quelque Anglais qui ira en Italie acheter des copies qu'il prendra pour des originaux, et des médailles qu'il croira antiques . Pour peu qu'il ait le sens commun, il cherchera à vous voir, et je le chargerai de mon paquet . La France pourrait bien aussi vous envoyer quelques jésuites ; il y en a qui ont de l'esprit, et je m'adresserai à eux .

Adieu, je me console de votre absence avec l'idée que vous m'aimez toujours un peu . Addio, caro . »

1 Tu écriras si rarement que dans l'année entière[tu ne réclames pas] quatre fois [le parchemin] : d'après Horace, Satires, II, iii, 1.

 

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