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29/03/2018

pourquoi ne pas dire aussi sufficit diei lœtitia sua ?/ à chaque jour suffit sa joie

... Oui ! pourquoi pas ?

 https://www.youtube.com/watch?v=PUDtHEUtjCM

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« Au cardinal François-Joachim de Pierre de Bernis

Aux Délices, 31è mars 1763 1

Je ne sais, Monseigneur, si notre secrétaire perpétuel a envoyé à Votre Éminence l’Héraclius de Calderon, que je lui ai remis pour divertir l’Académie. Vous verrez quel est l’original de Calderon ou de Corneille : cette lecture peut amuser infiniment un homme de goût tel que vous  et c’est une chose, à mon gré, assez plaisante, de voir jusqu’à quel point la plus grave de toutes les nations méprise le sens commun.

Voici, en attendant, la traduction très fidèle de la conspiration contre César par Cassius et Brutus, qu’on joue tous les jours à Londres, et qu’on préfère infiniment au Cinna de Corneille. Je vous supplie de me dire comment un peuple qui a tant de philosophes peut avoir si peu de goût ? Vous me répondrez peut-être que c’est parce qu’ils sont philosophes ; mais quoi , la philosophie mènerait-elle tout droit à l’absurdité ! et le goût cultivé n’est-il pas même un vraie partie de la philosophie ?

Oserai-je, monseigneur, vous demander à quoi vous placez la vôtre à présent ? Le Plessis , dont vous avez daté vos dernières lettres, est-il un château qui vous appartienne, et que vous embellissiez ?

On attrape bien vite le bout de la journée avec des ouvriers, des livres, et quelques amis ; et c’est bien assurément tout ce qu’il faut que d’attraper ce bout gaiement. Le sufficit diei malitia sua 2 a bien quelque vérité, mais pourquoi ne pas dire aussi sufficit diei lœtitia sua ?

Je suis toujours un peu quinze-vingts ; mais j’ai pris la chose en patience. On dit que ce sont les neiges des Alpes qui m’ont rendu ce mauvais service, et qu’avec les beaux jours j’aurai la visière plus nette. Je vous félicite toujours, monseigneur, d’avoir vos cinq sens en bon état ; poro unum necessarium 3, c’est apparemment sanitas. Je ne sais pas de quoi je m’avise de citer tant la sainte Écriture devant un prince de l’Église ; cela sent bien son huguenot . Je ne le suis pourtant pas, quoique je me trouve à présent sur le vaste territoire de Genève. M. le duc de Villars y est, comme moi, pour sa santé ; il a été fort mal ; Dieu et Tronchin l’ont guéri, pour le consoler de la mort de madame la maréchale sa mère.

Notre canton va s’embellir ; le duc de Chablais 4 établira sa cour près de notre lac, vis-à-vis mes fenêtres ; c’est une cour que je ne verrai guère, j’ai renoncé à tous les princes ; je n’en dis pas autant des cardinaux . Il y en a un à qui j’aurais voulu rendre mes hommages avant de prendre congé de ce monde . Je lui serai toujours attaché avec le plus tendre et le plus profond respect.

V. »



1 V* répond à une lettre du 10 mars 1763 dans laquelle Bernis écrit : « Je vous sais très bon gré, mon cher confrère, de me communiquer le mariage de Mlle Corneille […] Je consens très volontiers que mon nom soit inscrit au bas du contrat […] Puisque vous êtes arrivé à soixante et dix ans avec la machine frêle que je vous ai connue, et les travaux sans nombre auxquels vous l'avez assujettie, je vous promets une vie aussi longue que celle de la maréchale de Villars, qui s'est défendue dans son lit comme le maréchal de Malplaquet . Tant que vous serez gai vous vous porterez bien . Ménagez vos yeux, dictez et n'écrivez jamais . […] Envoyez-moi vos traductions de Shakespeare et de Calderon . J'ai été fort aise de la réception de l'abbé de Voisenon à notre Académie . »

2 A chaque jour suffit sa peine, Évangile de Matthieu ; la phrase transformée un peu plus loin par V* signifie : à chaque jour suffit sa joie .

3 Pourtant une seule chose est nécessaire, Luc, V, 42 ; plus loin sanitas signifie la santé .

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