30/04/2025
sauter de mon lit, en criant : Allah ! Catharina !
... C'est plus qu'improbable, car si je connais bien une Catherine, charmante, j'ignore tout de cet Allah qui n'évoque rien de plus pour moi que le cri de ralliement "à la soupe !!".
« À Catherine II, impératrice de Russie.
À Ferney, 30 octobre 1769
Madame,
Votre Majesté impériale me rend la vie, en tuant des Turcs. La lettre dont elle m’honore, du 22 septembre, me fait sauter de mon lit, en criant : Allah ! Catharina ! J’avais donc raison, j’étais plus prophète que Mahomet : Dieu et vos troupes victorieuses m’avaient donc exaucé quand je chantais : Te Catharinam laudamus, te dominam confitemur 1. L’ange Gabriel m’avait donc instruit de la déroute entière de l’armée ottomane, de la prise de Choczin, et m’avait montré du doigt le chemin d’Yassi.
Je suis réellement, madame, au comble de la joie ; je suis enchanté, je vous remercie, et, pour ajouter à mon bonheur, vous devez toute cette gloire à monsieur le nonce. S’il n’avait pas déchaîné le divan contre Votre Majesté, vous n’auriez pas vengé l’Europe.
Voilà donc ma législatrice entièrement victorieuse. Je ne sais pas si on a tâché de supprimer à Paris et à Constantinople votre Instruction pour le Code de la Russie ; mais je sais qu’on devrait la cacher aux Français : c’est un reproche trop honteux pour nous de notre ancienne jurisprudence ridicule et barbare, presque entièrement fondée sur les Décrétales des papes et sur la jurisprudence ecclésiastique.
Je ne suis pas dans votre secret ; mais le départ de votre flotte me transporte d’admiration. Si l’ange Gabriel ne m’a pas trompé, c’est la plus belle entreprise qu’on ait faite depuis Annibal.
Permettez que j’envoie à Votre Majesté la copie de la lettre que j’écris au roi de Prusse 2 : comme vous y êtes pour quelque chose, j’ai cru devoir la soumettre à votre jugement.
Que Dieu me donne de la santé, et certainement je viendrai me mettre à vos pieds l’été prochain pour quelques jours, ou même pour quelques heures, si je ne puis mieux faire.
Que Notre Majesté impériale pardonne au désordre de ma joie, et agrée le profond respect d’un cœur plein de vous.
L’ermite de Ferney. »
1 Imitation du premier verset du Te Deum : https://fr.wikipedia.org/wiki/Te_Deum
Voir et écouter : https://fr.wikipedia.org/wiki/Te_Deum_(Charpentier), actuel hymne pour l'Eurovision !
2 Probablement la lettre suivante, qui n’était peut-être pas encore terminée : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1769/Lettre_7702
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29/04/2025
Minerve réside à Pétersbourg, et vous savez que, dans Homère, Minerve l’emporte beaucoup sur Mars
... Qui dans St Petersbourg est capable de battre Mars-Poutine de Moscou ? Souvenons-nous que Minerve a été incarnée l'an passé par Lioudmila Vassilieva : https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/reportage-elle-n...
Le salut de la paix viendra-t-il par une femme?
Femme remarquable
« À Ivan Ivanovitch Schouvalow
30 octobre 1769
La charmante lettre que vous m’avez écrite, mon cher chambellan de la législatrice victorieuse 1! Je vous avais déjà fait mon compliment par M. d’Eck 2; j’étais alors trop malade pour écrire. C’est donc Cotcin qu’il faut dire, et non pas Choctzim ; moi, je l’appelle Triomphopolis.
Je me flatte que le code des lois s’achèvera parmi les victoires. Mars est, dit-on, le dieu de la Thrace, où réside son pauvre serviteur Moustapha ; mais Minerve réside à Pétersbourg, et vous savez que, dans Homère, Minerve l’emporte beaucoup sur Mars.
Quel Mars que Moustapha !
À propos, Orphée était de Thrace aussi : faites-y donc un petit voyage, à la suite de Sa Majesté impériale. Ah ! s’il me restait encore un peu de voix, je chanterais, comme les cygnes, en mourant. Il est bien triste pour moi de mêler de si loin mes acclamations aux vôtres. Je vous embrasse mille fois dans les transports de ma joie. Mille respects à Mme la comtesse de Schouvalow.
Je présente mes très humbles et mes tendres félicitations à M. le prince Gallitzin, ci-devant ambassadeur, tant chez les Français que chez les Welches, et à M. le comte de Woronzow, qui est, je crois, à présent à votre cour.
Permettez-moi de faire mettre dans la Gazette de Berne, qui va en France, les détails intéressants de votre lettre. »
1 Voir lettre de Catherine II du 7-18 octobre 1769 : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1769/Lettre_7691
2 A propos de von Eck voir lettre du 11 avril 1767 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/10/03/je-viens-d-expedier-aujourd-hui-un-avertissement-au-bureau-d-6404377.html
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28/04/2025
Vous m’avez fait un vrai plaisir en réduisant dans plus d’un article l’infini à sa juste valeur.
... Infini plaisir, pour ma part, que celui de fréquenter Voltaire .
« A Jean Le Rond d'Alembert
28 octobre 1769
Mme Denis, mon très cher et très grand philosophe, m’apporte votre lettre du 15 1. J’aurais encore mieux aimé causer avec vous à Paris ; mais le triste état où je suis ne m’a pas permis de voyager, et je crois, entre nous, que ni messieurs ni les révérends pères n’auront plus désormais de querelle avec moi.
Soyez très sûr que l’histoire de Martin 2 est dans la plus exacte vérité. Martin fut condamné, il y a environ trois ans, à Paris, comme je vous l’ai mandé. Les annales du pays ne m’ont point encore annoncé la date de sa mort, mais je vous ai mandé celle de la déclaration que fit le coupable de l’innocence de Martin. On a rassemblé la pauvre famille dispersée. On fait un mémoire actuellement en sa faveur. Je suis bien sûr que vous ne me citerez pas, mais il est bien étrange qu’on craigne d’être cité quand il s’agit de secourir une malheureuse famille qui demande justice de la mort abominable de son père.
Mme Denis m’a parlé d’une pièce de vers intitulée Michaut, ou Michon et Michelle 3; elle dit que c’est une pièce satirique contre des conseillers au parlement, mais qu’elle ne l’a pas vue. Elle ajoute qu’on a la fureur de me l’attribuer. Je suis si malade que je ne puis me livrer à une juste colère ; ces infâmes calomnies m’empêcheraient de venir à Paris, quand même j’aurais la force de soutenir la vie qu’on y mène, et qui ne me plaît point du tout.
Vous savez peut-être que Panckoucke m’a proposé de travailler à la partie littéraire du Supplément de l’Encyclopédie. Je m’en chargerai avec grand plaisir, si la nature m’en donne le temps et la force ; j’ai même des matériaux assez curieux ; il se vante que vous travaillez à tout ce qui regarde les mathématiques et la physique. Comment ferez-vous quand il faudra combattre les molécules organiques, les générations sans germe, et les anguilles de blé ergoté ? Laissera-t-on subsister dans l’Encyclopédie les exclamations Ô mon cher ami Rousseau 4 ? Déshonorera-t-on un livre utile par de pareilles pauvretés ? laissera-t-on subsister cent articles qui ne sont que des déclamations insipides ? et n’êtes-vous pas honteux de voir tant de fange à côté de votre or pur ?
Je vous demanderais aussi de retrancher un petit mot, à la fin d’un article, concernant Maupertuis[4] 5. Il n’est pas bien sûr qu’il eût raison, mais il est très sûr qu’il a été fou et persécuteur. Mme Denis m’a bien étonné en m’apprenant le déplorable état où se sont trouvées les affaires de Damilaville à sa mort. Je plains beaucoup son pauvre domestique. Permettez que je vous adresse ce petit billet 6, qui me coûte beaucoup plus de peine à écrire qu’il ne coûte d’argent, car à peine puis-je me servir de ma main.
Si je puis travailler à la partie littéraire, il faudra toujours que je dicte.
Vous m’avez fait un vrai plaisir en réduisant dans plus d’un article l’infini à sa juste valeur.
Je vous prie, mon cher philosophe, de me mander si, dans mille cas, les diagonales des rectangles ne sont pas aussi incommensurables que les diagonales des carrés. C’est une fantaisie de malade.
Voici une chose plus intéressante. Grimm assure que l’empereur est des nôtres ; cela est heureux, car la duchesse de Parme, sa sœur 7, est contre nous.
Sæpe, premente deo, fert deus alter opem.8
Fers mihi opem 9 quand vous m’écrivez. Ce n’est pas seulement parce que je vous regarde comme le premier écrivain du siècle, mais parce que je vous aime de tout mon cœur. »
2 Voir lettre du 4 septembre 1769 à d'Alembert : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2025/03/16/les-affaires-des-turcs-vont-mal-je-voudrais-bien-que-ces-marauds-la-fussent.html
3 Voir la note 3 sur la lettre : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1769/Lettre_7688
4 Cet au mot Encyclopédie qu’est cette exclamation de Diderot ; voir note 1 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome46.djvu/268
Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Encyclop%C3%A9die/1re_%C3%A9dition/ENCYCLOP%C3%89DIE
5 Dans le tome IV in-folio de l’Encyclopédie, un long passage qui termine l’article Cosmologie est tout entier sur Maupertuis ; voir : https://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v4-631-0/
6 C’était le mandat d’une somme d’argent pour le domestique de Damilaville ; voir lettre de d 'Alembert du 9 novembre 1768 : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1769/Lettre_7706
7 Voir notes : : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome46.djvu/485
8 Souvent, lorsqu’un dieu est pressé, un autre dieu apporte de l’aide ; inspiré de Ovide, Tristes, lib. I, élégie. II, 4) : Souvent un dieu protège ceux qu'un autre persécute.
9 Tu m'apportes de l'aide.
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27/04/2025
Comme il ne m’appartient ni d’éclairer les nations, ni d’être un second Orphée, je ne me mêle point de tout cela, et je dois l’ignorer
... Que les cardinaux, dits princes de l'Eglise, élisent un pape à leur goût, peu me chaut .
« À Cosimo Alessandro Collini
Ferney, 25 octobre 1769
C’était un Allemand de beaucoup d’esprit qui avait fourni, mon cher ami, la première légende 1. J’ai écrit au graveur 2 pour qu’il m’envoyât environ une trentaine de médailles avec cette légende même ; et je lui ai demandé, je crois, une douzaine d’autres de la nouvelle fabrique 3, qui ont pour devise : orpheus alter 4.
Comme il ne m’appartient ni d’éclairer les nations, ni d’être un second Orphée, je ne me mêle point de tout cela, et je dois l’ignorer. Je ne puis qu’acheter les médailles du graveur ; je les ai demandées en bronze ; c’est tout ce que je puis faire. Vous me ferez plaisir, mon cher ami, de le presser.
Je suis étonné d’être en vie après la maladie de langueur que j’ai essuyée. Une de mes plus grandes consolations est la bonté dont Son Altesse électorale daigne m’honorer, et votre amitié, sur laquelle je compte jusqu’à mon dernier moment.
V. »
1 Une note de Collini apprend que la légende était le vers 354 du chant IV de la Henriade :
« Il ôte aux nations le bandeau de l’erreur. » ( voir : https://fr.wikisource.org/wiki/La_Henriade/Chant_4 )
On a vu par la lettre du 29 mars 1769 à Collini que cette médaille était dédiée à l’électeur, dont le nom était au revers, au-dessus d’un autel sur lequel étaient des trompettes, des casques, des épées, emblèmes des sujets épiques et tragiques : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/09/27/je-n-ai-jamais-vecu-que-dans-des-climats-qui-n-etaient-pas-f-6516380.html
On dit que l’électeur désapprouva la légende, et en exigea la suppression. La suppression paraît constatée par la lettre à Collini ci-dessus. C’était la première légende qu’on lisait sur les douze médailles dont il est parlé dans cette lettre : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1769/Lettre_7516
2 La lettre manque .
3 C’est sans doute celle qui porte la date de 1770 ; mais il paraît que l’inscription fut remplacée par une couronne.
4 Autel d'Orphée
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26/04/2025
La vie est hérissée de ces épines, et je n’y sais d’autre remède que de cultiver son jardin
... Ce qui serait plus utile que de se rendre au Vatican pour inhumer un pape qui serait sans doute fâché de voir tant de dépenses pour lui . Chers cathos, n'avez-vous rien de plus utile à faire que de vous presser sur une place comme au spectacle ?
Laissez les morts enterrer les morts ! Jesus dixit .
Mention spéciale pour ceux qui sont là pour raisons protocolaires : https://www.lepoint.fr/monde/obseques-du-pape-les-dessous...
« À Pierre-Joseph-François Luneau De Boisjermain 1
Château de Ferney, 21 octobre 1769
Je suis très malade, monsieur ; je ne verrai pas longtemps les malheurs des gens de lettres.
Je ne vois pas qu’on puisse rien ajouter ni répondre au factum, de M. Linguet 2.
Il me paraît que les toiliers, les droguistes, les vergettiers, les menuisiers, les doreurs, n’ont jamais empêché un peintre de vendre son tableau, même avec sa bordure. Monsieur le doyen du parlement de Bourgogne veut bien me vendre tous les ans un peu de son bon vin, sans que les cabaretiers lui aient jamais fait de procès.
Pour les gens de lettres, c’est une autre affaire ; il faut qu’ils soient écrasés, attendu qu’ils ne font point corps, et qu’ils ne sont que des membres très épars.
En 1753, on me proposa de faire à Lyon une très jolie édition du Siècle de Louis XIV ; une personne très intelligente et très bienfaisante persuada au cardinal de Tencin que c’était un livre contre Louis XIV ; le cardinal l’écrivit au roi, et j’ai vu la réponse de Sa Majesté.
La vie est hérissée de ces épines, et je n’y sais d’autre remède que de cultiver son jardin. »
1 Luneau de Boisjermain (Pierre-Joseph-François), né à Issoudun en 1732, est mort à Paris le 25 décembre 1801 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-Joseph_Luneau_de_Boisjermain
et : https://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journaliste/533-pierre-luneau-de-boisjermain
M. Luneau était en procès avec les libraires, qui n’entendaient pas que les auteurs vendissent ou échangeassent leurs ouvrages. (Kehl.)
2 C’est ironiquement que Voltaire parle ainsi ; voyez le quatrième alinéa de cette lettre. Le mémoire de Linguet était intitulé Précis signifié par les syndics et adjoints des libraires de Paris. Luneau, qui avait publié un premier mémoire, en fit imprimer un second, en réponse au Précis rédigé par Linguet. (Beuchot.)
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25/04/2025
les affaires des particuliers ne doivent point être prostituées ainsi en public ; cet honneur n’appartient qu’aux souverains
... Ils sont quasiment payés pour ça et rien d'autre .
« À Jean-François Coste 1
À Ferney, 17 octobre 1769.
Je suis très fâché sans doute, monsieur, d’avoir été tympanisé dans la Gazette de Berne 2 d’une manière si indécente : les affaires des particuliers ne doivent point être prostituées ainsi en public ; cet honneur n’appartient qu’aux souverains. Je ne me souviens plus des mots qui étaient dans le mémoire 3 dont vous vous chargeâtes pour M. le duc de Choiseul, mais je sais très bien que le gazetier suisse n’en devait avoir aucune connaissance. Je vois que vous pensez comme moi ; mais après tout, ce n’est qu’une bagatelle qui n’est bonne qu’à être oubliée.
J’ ai l’honneur d’être, monsieur, bien véritablement votre très humble et très obéissant serviteur. »
1 Voir : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/10/17/rien-n-est-plus-juste-qu-une-augmentation-de-petits-appointe-6519242.html
et lettre du 4 septembre 1769 à me de Choiseul : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2025/03/17/il-n-y-a-point-de-pays-si-disgracie-de-la-nature-qu-on-ne-pu-6540007.html
2 Voir : https://www.e-newspaperarchives.ch/?a=cl&cl=CL1&sp=GDB&e=-------fr-20--1--img-txIN--------0-----
3 Voir lettre a Choiseul du 16 juillet. 1769 : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1769/Lettre_7595
et voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Fran%C3%A7ois_Coste
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24/04/2025
On m’a dit qu’il y avait des Français dans l’armée turque : je ne veux pas le croire
... Y a-t-il des Turcs dans l'armée française ? A part dans la Légion étrangère, je ne crois pas . Toujours est-il que le Chat-j'ai-pété ne m'a pas répondu à ce sujet : secret défense ? L'Ia n'est pas d'une franchise extraordinaire .
« À Catherine II, impératrice de Russie.
17 octobre 1769
Madame,
Le très vieux et très indigne chevalier de Votre Majesté impériale était accablé de mille faux bruits qui couraient et qui l’affligeaient. Voilà tout à coup la nouvelle consolante qui se répand de tous côtés que votre armée a battu complètement les esclaves de Moustapha vers le Dniester. Je renais, je rajeunis, ma législatrice est victorieuse ; celle qui établit la tolérance, et qui fait fleurir les arts, a puni les ennemis des arts : elle est victorieuse, elle jouit de toute sa gloire. Ah ! madame, cette victoire était nécessaire : les hommes ne jugent que par le succès. L’envie est confondue. On n’a rien à répondre à une bataille gagnée : des lauriers sur une tête pleine d’esprit, et d’une force de raison supérieure, font le plus bel effet du monde.
On m’a dit qu’il y avait des Français dans l’armée turque : je ne veux pas le croire. Je ne veux pas avoir à me plaindre de mes compatriotes ; cependant j’ai connu un colonel 1 qui a servi en Corse, et qui avait la rage d’aller voir des queues de cheval ; je lui en fis honte, je lui représentai combien sa rage était peu chrétienne ; je lui mis devant les yeux la supériorité du Nouveau Testament sur l’Alcoran mais surtout je lui dis que c’était un crime de lèse-galanterie française de combattre pour de vilaines gens qui enferment les femmes, contre l’héroïne de nos jours. Je n’ai plus entendu parler de lui depuis ce temps-là. S’il est votre prisonnier, je supplie Votre Majesté impériale de lui ordonner de venir faire amende honorable dans mon petit château, d’assister à mon Te Deum, ou plutôt à mon Te Deam, et de déclarer à haute voix que les Moustapha ne sont pas dignes de vous déchausser.
Aurai-je encore assez de voix pour chanter vos victoires ? J’ai l’honneur d’être de votre académie 2 ; je dois un tribut. M. le comte Orlof n’est-il pas notre président ? Je lui enverrais quelque ennuyeuse ode pindarique, si je ne le soupçonnais de ne pas trop aimer les vers français.
Allons donc, héritier des Césars, chef du saint empire romain, avocat de l’Église latine, allons donc. Voilà une belle occasion. Poussez en Bosnie, en Servie, en Bulgarie ; allons, Vénitiens, équipez vos vaisseaux, secondez l’héroïne de l’Europe.
Et votre flotte, madame, votre flotte !… Que Borée la conduise, et qu’ensuite un vent d’occident la fasse entrer dans le canal de Conslantinople !
Léandre et Héro, qui êtes toujours aux Dardanelles, bénissez la flotte de Pétersbourg. Envie, taisez-vous ! peuples, admirez ! C’est ainsi que parle le malade de Ferney ; mais ce n’est pas un transport au cerveau, c’est le transport du cœur.
Que Votre Majesté impériale daigne agréer le profond respect et la joie de votre très humble et très dévot ermite. »
1 Ce colonel n’exécuta pas son projet ; voir lettre de Catherine II : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1769/Lettre_7707
2 Voltaire était de l’Académie de Saint-Pétersbourg depuis 1746 ; voyez sa lettre à Muller, page 456 et suiv. : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome36.djvu/459
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