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03/09/2019

il y a tant de fous dans le parti contraire qu’il faut bien qu’il y en ait chez nous

...Tous partis confondus doivent en être conscients à moins qu'ils aient assez de fous pour le nier mordicus .

 

 

Ci-dessous lettre dont j'ai fait une première mise en ligne le 16/7/2009 avec  mise à jour des notes aujourd'hui 

 

« A Jean Le Rond d’Alembert

Mon grand philosophe, et pour dire encore plus, mon aimable philosophe, vous ne pouvez me dire Simon dors-tu ? [le 9 juillet d’Alembert écrit : « je dirais …comme défunt le Christ à défunt Simon Pierre : Simon, dormis ? Il y a un siècle que je n’ai entendu parler de vous . »] ni Tu dors Brutus [référence à La Mort de César]; car assurément je ne me suis pas endormi, demandez plutôt à l’Inf…

Comment avez-vous pu imaginer que je fusse fâché que vous soyez de mon avis ?[d’Alembert a écrit : « Votre long silence m’a fait craindre un moment que vous ne fussiez mécontent de la liberté avec laquelle je vous ai dit mon avis sur le Corneille ,… vous auriez du multiplier les croquignoles et les références. »] Non, sans doute je n’ai pas été assez sévère sur les vaines déclamations, sur les raisonnements d’amour, sur le ton bourgeois qui avilit le ton sublime, sur la froideur des intrigues ; mais j’étais si ennuyé de tout cela que je n’ai songé qu’à m’en débarrasser au plus vite.

Il se pourrait très bien faire que saint Crépin [sans doute l’Électeur palatin, duc des Deux-Ponts ; d’Alembert avait écrit : « …quand le roi de Prusse me demanda si, retournant en France, je m’arrêterais dans toutes ces petites cours borgnes (celles de « tous ces petits principaux d’Allemagne), je lui répondis que non, parce que « quand on vient voir Dieu, on ne se soucie guère de voir St Crespin ». Le mot est assez caractéristique du prestige qu'exerce alors encore la force victorieuse sur les intellectuels du temps alors même que Frédéric II vient d’humilier la France tout au long de la Guerre de Sept Ans .] prît à ses gages maître Aliboron ; il m’a su mauvais gré de ce que j’avais une fluxion sur les yeux qui m’empêchait d’aller chez lui. L’impératrice de Russie est plus honnête ; elle vous écrit des lettres charmantes, quoique vous ne soyez point allé la voir. C’est bien dommage qu’on ne puisse imprimer sa lettre, elle servirait à votre pays de modèle et de reproche.

Je souhaite de tout mon cœur qu’il reste des jésuites en France [d’Alembert avait écrit : « Voilà déjà des parlements qui concluent à garder les jésuites ; j’ai bien peur que ce ne sois enterrer le feu sous la cendre. » La compagnie de Jésus sera dissoute en novembre 1764 par édit du roi.]; tant qu’il y en aura, les jansénistes et eux s’égorgeront : les moutons, comme vous savez, respirent un peu quand les loups et les renards se déchirent. Le testament de Meslier devrait être dans la poche de tous les honnêtes gens. Un bon prêtre, plein de candeur, qui demande pardon à Dieu de s’être trompé, doit éclairer ceux qui se trompent.

J’ai ouï parler de ce petit abominable Dictionnaire [un exemplaire du Dictionnaire philosophique demandé par d’Alembert : « On m'a parlé […] d'un dictionnaire où beaucoup d'honnêtes fripons ont rudement sur les oreilles . […] Si vous en connaissez l'auteur, vous devriez bien lui dire de m'en faire tenir un par quelque voie sûre . Il peut être persuadé que j'en ferai bon usage. »]; c’est un ouvrage de Satan. Il est tout fait pour vous, quoique vous n’en ayez que faire. Soyez sûr que, si je peux le déterrer, vous en aurez votre provision. Heureusement, je n’ai nulle part à ce vilain ouvrage, j’en serais bien fâché ; je suis l’innocence même, et vous me rendrez bien justice dans l’occasion. Il faut que les frères s’aident les uns les autres. Votre petit écervelé de Jean-Jacques n’a fait qu’une bonne chose en sa vie, c’est son Vicaire savoyard, et ce vicaire l’a rendu malheureux pour le reste de ses jours. Le pauvre diable est pétri d’orgueil, d’envie, d’inconséquences, de contradictions et de misère. Il imprime que je suis le plus violent et le plus adroit de ses persécuteurs [référence à lettre de Rousseau à Duchesne du 28 mai et publiée « Lettre de M. Rousseau de Genève à M. X*** à Paris (1764) ; V* demandera si c’est à Duclos que cette lettre a été adressée]; il faudrait que je fusse aussi méchant qu’il est fou pour le persécuter. Il me prend donc pour maitre Omer ! Il s’imagine que je me suis vengé parce qu’il m’a offensé. Vous savez comme il m’écrivit, dans un de ses accès de folie, que je corrompais les mœurs de sa chère république, en donnant quelquefois des spectacles à Ferney qui est en France [17 juin 1760 : « vous avez perdu Genève pour le prix de l’asile que vous y avez reçu. » A cette époque le théâtre se donne encore à Tournay. Le 29 septembre, il écrit à Mme de Fontaine : « Le théâtre de Tournay sera désormais à Ferney. J’y vais construire une salle de spectacle… »]. Sa chère république donna depuis un décret de prise de corps contre sa personne ; mais comme je n’ai pas l’honneur d’être procureur général de la parvulissime [= la plus petite, sous entendu république, terme plus correct que le petitissime employé dans la lettre du 16 décembre 1762 à d'Argental], il me semble qu’il ne devrait pas s’en prendre à moi. J’ai peur, physiquement parlant, pour sa cervelle ; cela n’est pas trop à l’honneur de la philosophie ; mais il y a tant de fous dans le parti contraire qu’il faut bien qu’il y en ait chez nous. Voici une folie plus atroce. J’ai reçu une lettre anonyme de Toulouse, dans laquelle on soutient que tous les Calas étaient coupables, et qu’on ne peut se reprocher que de n’avoir pas roué la famille entière. Je crois que s’ils me tenaient, ils pourraient bien me faire payer pour les Calas. J’ai eu bon nez de toute façon de choisir mon camp sur la frontière ; mais il est triste d’être éloigné de vous, je le sens tous les jours ; Mme Denis partage mes regrets. Si vous êtes amoureux, restez à Paris ; si vous ne l’êtes pas, ayez le courage de venir nous voir, ce serait une action digne de vous.

Mme Denis et moi vous embrassons le plus tendrement du monde.

Voltaire

16 de juillet 1764. »

 

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