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01/09/2015

vous ne pouvez pas souffrir cette familiarité plate ..., cette façon misérable de réciter des vers comme on lit la gazette . J'aimerais je crois encore mieux, l'ampoulé que je n'aime point

... Paroles d'auteur, metteur en scène, acteur qui sait de quoi il s'agit .

 

Mis en ligne le 17/11/2020 pour le 1/9/2015

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental, Envoyé

de Parme etc.

Rue de la Sourdière

à Paris

1er septembre 1760

La charité étant une vertu angélique, un pauvre malade compte sur celle de ses divins anges ; vous croyez bien que ce n'est pas par mauvaise volonté que je n'ai pas fait à Tancrède et à sa chère Aménaïde tout ce que je voudrais leur faire ; mes anges n'imaginent pas quel est le fardeau d'un homme très faible, et un peu vieux qui a quatre campagnes à gouverner à la fois, qui s'avise de faire bâtir un château et une église, qui ne peut suffire à une correspondance forcée, qui pour l'achever de peindre se trouve assez embarrassé avec l'empire de toutes les Russies . Il est fort doux d'être occupé, mais il est dur d'être surchargé, le corps en souffre . Tancrède aussi ; j'implore la clémence de Mme Scaliger ; je n'en peux plus . Des vers et moi, ne peuvent se rencontrer ensemble d'ici à plus de trois mois ; n’exigez rien de moi, mes divins anges, car je ne ferais que des sottises ; il me reste à peine assez de tête pour vous dire que s'il y a dans Tancrède la simplicité , la noblesse, l'intérêt, la nouveauté que vous y trouvez, cette pièce pourra être aussi bien reçue que L’Écossaise . Mlle Clairon pleure et fait pleurer, dites-vous ; que demandez-vous de plus ? Il se trouvera quelques raisonneurs qui après avoir pleuré , diront à souper, que le courrier qui portait la lettre d'Aménaïde au camp des Maures devrait avoir parlé avant de mourir ; d'autres répondront qu'il devait se taire ; on demandera s'il y a assez de raisons pour condamner Aménaïde ; les gens de bonne volonté diront qu'il n'y en a que trop, que son courrier allait au camp des Maures, que Solamir avait osé la demander en mariage dans Syracuse, que Solamir l'avait aimée à Constantinople ; il est encore très naturel et même indispensable que Tancrède la croie coupable, puisque son père même avoue à Tancrède, qu'il n'est que trop sûr du crime de sa fille ; toute l'intrigue est donc de la plus grande vraisemblance, et ce serait une chose bien inutile et bien déplacée, de faire parler un postillon qui ne doit point parler . Il me semble que quand on a pour soi la vraisemblance et l'intérêt, on peut risquer de jouer à ce jeu dangereux de cinq actes contre quinze cents personnes . Permettez moi de vous dire , mon cher ange, qu'il faut que Lekain mette beaucoup de passion dans son rôle ; cette passion doit être noble je l'avoue, mais il faut que le désespoir perce toujours à travers de cette noblesse .

Je souhaite que Brisard joue le bonhomme comme j'ai eu l'honneur de le jouer ; croyez que ma nièce et moi, nous faisons pleurer les gens quand nous voulons .

Que vous me faites plaisir de me dire que vous ne pouvez pas souffrir cette familiarité plate que le bonhomme Sarrazin prenait quelquefois pour le naturel, cette façon misérable de réciter des vers comme on lit la gazette . J'aimerais je crois encore mieux, l'ampoulé que je n'aime point .

Au reste, vous savez bien que vous êtes le maître absolu de vos bienfaits, ainsi que de la pièce et de l'auteur . Je vous ai envoyé par le dernier ordinaire, mon édifiante lettre au roi Stanislas ; je chercherai ces dialogues 1 que vous voulez voir ; j'en ferai faire une copie ; tout est à vos ordres, comme de raison ; permettez-moi de vous remercier encore d'avoir vengé le public en donnant L’Écossaise ; vous avez décrédité ce malheureux Fréron dans Paris et dans les provinces , et il était nécessaire qu'il fût décrédité . Donnez la bataille de Tancrède quand il vous plaira, vous êtes un excellent général ; si M. Daun avait conduit ses troupes, comme vous conduisez les vôtres, le roi de Prusse ne lui aurait pas dérobé tant de marches . Adieu mon divin ange, en voilà beaucoup pour un malingre qui n'en peut plus, mais qui adore ses anges .

V. »

1 Dialogues chrétiens ou préservatif contre l'Encyclopédie, 1760, de Voltaire . Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9613536t.texteImage

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