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24/09/2015

Tout homme qui pense devrait s'élever contre ces fanatiques hypocrites . Ils méritent d'être rendus exécrables à leur siècle et à la postérité

... Tous les fanatiques sans exception.

 

Mis en ligne le 19/11/2020 pour le 24/9/2015

 

 

« A Charles Palissot de Montenoy

Au château de Ferney, par Genève

24 septembre [1760] 1

Je dois me plaindre, monsieur, de ce que vous avez imprimé mes lettres sans mon consentement . Ce procédé n'est ni de la philosophie ni du monde . Je réponds cependant à votre lettre du 13 septembre 2, mais c'est en vous priant par tous les devoirs de la société de ne point publier ce que je ne vous écris que pour vous seul .

J'ai commencé par vous remercier de la part que vous voulez bien prendre au petit succès de Tancrède . Vous avez raison de ne vouloir l'appareil et l'action au théâtre qu'autant que l'un et l'autre sont liés à l'intérêt de la pièce ; vous écrivez trop bien pour ne pas vouloir que le poète l'emporte sur le décorateur .

Je suis encore de votre avis sur les guerres littéraires mais vous m'avouerez que, dans toute guerre, l'agresseur seul a tort devant Dieu et devant les hommes . La patience m'a échappé au bout de quarante années ; j'ai donné quelques petits coups de patte à mes ennemis pour leur faire sentir que, malgré mes soixante-sept ans, je ne suis pas paralytique . Vous vous y êtes pris de meilleure heure que moi ; vous avez fait des estafilades à des gens qui ne vous attaquaient pas, et malheureusement je suis l'ami de quelques personnes à qui vous avez fait sentir vos griffes . Je me suis donc trouvé entre vous et mes amis que vous déchirez ; vous sentez que vous me mettiez dans une situation très désagréable : j'avais été touché de la visite que vous m'aviez faite aux Délices ; j'avais conçu beaucoup d'amitié pour vous et pour M. Patu avec qui vous aviez fait le voyage, et mes sentiments partagés entre vous et lui se réunissaient pour vous après sa mort . Vos lettres m'avaient beaucoup plu ; je m'intéressais à vos succès, à votre fortune ; votre commerce, qui m'était très agréable, a fini par m'attirer les reproches les plus vifs de la part de mes amis . Ils se sont plaints de ma correspondance avec un homme qui les outrageait . Pour comble de désagrément, on m'a envoyé des notes imprimées en marge de vos lettres . Ces notes sont de la plus grande dureté .

Vous ne devez pas être étonné que des esprits offensés ne ménagent pas l'offenseur . Cette guerre avilit les lettres ; elles étaient déjà assez méprisées et assez persécutées par la plupart des hommes qui ne connaissent que la fortune . Il est très mal que ceux qui devraient être unis par leur goût et leur sentiment, se déchirent comme s'ils étaient des jansénistes et des molinistes . De petits scélérats en robe noire ont opprimé des gens de lettres, parce qu'ils osaient en être jaloux . Tout homme qui pense devrait s'élever contre ces fanatiques hypocrites . Ils méritent d'être rendus exécrables à leur siècle et à la postérité . Jugez combien je dois être affligé que vous ayez combattu sous leurs étendards !

Ce qui me console, c'est qu'enfin on rend justice . L'Académie entière a été indignée du discours de Lefranc ; vous auriez pu un jour être de l'Académie, si vous n'aviez pas insulté publiquement deux de ses membres sur le théâtre . Vous savez que nos amis nous abandonnent aisément, et que les ennemis sont implacables .

Toute cette aventure m'a ôte ma gaieté, et ne me laisse avec vous que des regrets . Pompignan et Fréron m'amusaient, et vous m'avez contristé .

Tout malingre que je suis , je prends la plume pour vous dire que je ne me consolerai jamais de cette aventure qui fait tant de tort aux lettres ; que les lettres sont un métier devenu avilissant, abominable, et que je suis fâché de vous avoir aimé et elles aussi . »

1 Copie par Wagnière ; éd. Œuvres de M. Palissot, 1788 donne le même texte ; Supplément au recueil .

Renouard, qui déclare son texte imprimé « sur la missive originale qui [lui] a été communiquée » et s'accorde en substance avec l'édition des Œuvres de M. Palissot, nous suivons donc son texte . L'édition 1, imprimée sur ms., est très différente, peut-être parce que ms . représente une ébauche ; en voici le texte :

« J'ai reçu , monsieur, votre lettre du 13 . Je dois me plaindre d'abord à vous de ce que vous avez publié mes lettres sans me demander mon consentement . Ce procédé n'est ni de la philosophie , ni du monde . Je vous réponds cependant en vous priant par tous les devoirs de la société de ne point publier ce que ne vous écris que pour vous seul . Je dois vous remercier de la part que vous voulez bien prendre au succès de Tancrède, et vous dire que vous avez très grande raison de ne vouloir d'appareil et d'action au théâtre qu'autant que l'un et l'autre sont liés à l'intérêt de la pièce . Vous écrivez trop bien pour ne pas vouloir que le poète l'emporte sur le décorateur . Je dois aussi vous dire que la guerre n'est pas de mon goût, mais qu'on est quelquefois forcé à la faire . Les agresseurs en tout genre ont tort devant Dieu et devant les hommes . Je n'ai jamais attaqué personne . Fréron m'a insulté des année entières sans que je l'aie su . On m'a dit que ce serpent avait mordu ma lime avec des dents aussi envenimées que faibles . Lefranc a prononcé devant l'Académie un discours insolent dont il doit se repentir toute sa vie, parce que le public a oublié ce discours, et se souvient seulement des ridicules qu'il lui a valus . Pour votre pièce des Philosophes, je vous répèterai toujours que cet ouvrage m'a sensiblement affligé . J'aurais souhaité que vous eussiez employé l'art du dialogue et celui des vers que vous entendez si bien, à traiter un sujet qui ne dût pas une partie de son succès à la malignité des hommes, et que vous n'eussiez point écrit pour flétrir des gens d'un très grand mérite dont quelques uns sont mes amis, et parmi lesquels il y en eu de malheureux et de persécutés . Le public finit par prendre leur parti . On ne veut pas que l'on immole sur le théâtre ceux que la cour a opprimés . Ils ont pour eux tous les gens qui pensent, tous les esprits qui ne veulent point être tyrannisés, tous ceux qui détestent le fanatisme ; et vous qui pensez comme eux, pourquoi vous êtes vous brouillés avec eux ? il faudrait ne se brouiller qu'avec les sots . On a envoyé un recueil de la plupart des pièces concernant cette querelle . Un des intéressés a fait des notes bien fortes sur les accusations que vous avez malheureusement intentées aux philosophes, et sur les méprises où vous êtes tombé dans ces imputations cruelles . Il n'est pas permis, vous le savez, à un accusateur de se tromper . C'est encore un grand désagrément pour moi que notre commerce de lettres ait été empoisonné par les reproches sanglants qu'on vous fait dans ce recueil, et par ceux qu'on m'a fait à moi d'entretenir commerce avec celui qui se déclare contre mes amis .J'avais été gai avec Lefranc, avec Trublet et même avec Fréron, j'avais été très touché de la visite que vous me fîtes aux Délices, j'ai regretté vivement votre ami M. Patu, et mes sentiments partagés entre vous et lui, se réunissaient pour vous ; j'avais pris un intérêt extrême aux succès de vos talents ; vous m'avez fait jouer un triste personnage quand je me suis trouvé entre vous et mes amis que vous avez déchirés . Je vous avais ouvert une voie pour tout concilier, mais au lieu de la prendre vous avez redoublé vos attaques . C'est aux jésuites et aux jansénistes à se détruire, et nous aurions dû les manger tranquillement au lieu de nous dévorer les uns les autres . »

 

2 Lettre non connue .

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