24/06/2021
Tout ce qui est un éternel sujet de dispute est d’une inutilité éternelle
... Entendez-vous bien, fanfarons (de tout sexe, all inclusive ) qui vous battez pour savoir qui sera désigné calife de vos ridicules partis politiques, diviseurs , démolisseurs, vains, petits !
« A Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
12 Mars 1766.
Je suis enchanté, madame, de me rencontrer avec vous ; ce n’est pas seulement par vanité, c’est parce qu’à mon avis lorsque deux personnes, qui ont le sens commun et qui sont de bonne foi, pensent de même sans s’être rien communiqué, il y a à parier qu’elles ont raison. Je m’occupais de votre idée lorsque j’ai reçu votre lettre 1 ; je me prouvais à moi-même que les notions sur lesquelles les hommes diffèrent si prodigieusement ne sont point nécessaires aux hommes, et qu’il est même impossible qu’elles nous soient nécessaires, par cette seule raison qu’elles nous sont cachées. Il a été indispensable que tous les pères et mères aimassent leurs enfants : aussi les aiment-ils . Il était nécessaire qu’il y eût quelques principes généraux de morale pour que la société pût subsister ; aussi ces principes sont-ils les mêmes chez toutes les nations policées. Tout ce qui est un éternel sujet de dispute est d’une inutilité éternelle. Ai-je bien pris votre idée, madame ? Il me semble qu’elle est consolante ; elle détruit toute superstition, elle rend l’âme tranquille ; ce n’est pas la tranquillité stupide d’un esprit qui n’a jamais pensé, c’est le repos philosophique d’une âme éclairée. Je ne suis point du tout étonné que vous aimiez la vie, toute malheureuse qu’elle est, et que vous n’aimiez point la mort. Presque tout le monde en est réduit là ; c’est un instinct qui était nécessaire au genre humain. Je suis persuadé que les animaux sont comme nous.
J’avoue donc avec vous, madame, que les connaissances auxquelles nous ne pouvons atteindre nous sont inutiles ; mais avouez aussi qu’il y a des recherches qui sont agréables ; elles exercent l’esprit. Les philosophes n’ont pas tant de tort d’examiner si, par leur seule raison, ils peuvent concevoir la création, si l’univers est éternel, si la pensée peut être jointe à la matière, comment il y a du mal dans le monde, et vingt autres petites bagatelles de cette espèce. Nous sommes tous curieux ; il n’y a personne qui ne voulût sonder un peu ces profondeurs, si on ne craignait pas la fatigue de l’application, et si on n’était pas distrait par les amusements et les affaires . Vous êtes précisément dans l’état où l’on fait des réflexions ; la perte des yeux sert au moins au recueillement de l’âme. Il me vient très souvent entre mes rideaux des idées qui s’enfuient au grand jour. Je mets à profit les temps où mes fluxions sur les yeux m’empêchent de lire ; je voudrais surtout passer ces temps avec vous.
J’ai lu la réponse du roi au parlement. Je m’imagine que je pense encore comme vous sur cette pièce ; elle m’a paru noblement pensée et noblement écrite ; et s’il ne s’agissait que du style, je dirais qu’il est fort au-dessus de celui des représentations, et surtout de celui de la plupart de nos auteurs.
Adieu, madame ; conservez au moins votre santé ; c’est là une chose nécessaire à tout âge et à tout état . La mienne n’est pas trop bonne ; mais il est nécessaire d’avoir patience. De toutes les vérités que je cherche, celle qui me paraît la plus sûre, c’est que vous avez une âme selon mon cœur, à laquelle je serai très tendrement attaché pour le peu de temps qui me reste. »
1 Lettre du 28 février 1766 : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1766/Lettre_6279
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