28/11/2022
Une telle proposition excite ma juste colère.
... Halte à la hausse du prix du Pass Navigo et du ticket de métro dit, à juste titre, M. David Belliard : https://www.20minutes.fr/paris/4011872-20221127-hausse-pa...
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argenrtal
15 Mai 1767.
Nous jouons donc plus souvent les Scythes en Scythie qu’à Paris ? C’est en essayant mon habit de Sozame que je présente encore ma requête à M. et Mme d’Argental, à M. de Thibouville, à M. de Chauvelin (à qui je n’ai pas encore pu faire réponse), et à toutes les belles dames qui se sont imaginé qu’Obéide doit commencer par un beau monologue sur son amour adultère pour un homme marié, qui a voulu l’enlever et en faire une fille entretenue : monologue qui certainement jetterait de l’indécence, du froid et du ridicule sur tout son rôle.
De l’indécence, parce qu’elle ne doit pas balancer lorsqu’elle croit son amant marié ; du froid, parce que les combats secrets qu’elle éprouve ensuite ne seraient qu’une répétition de ce que son monologue aurait dit ; du ridicule, parce que alors elle serait forcée de dire, dans son entrevue avec Athamare : « Ah ! ah ! votre femme est donc morte ? tant mieux ; tirez-moi d’ici au plus vite, et allons nous marier à Ecbatane. »
Oui, j’aurai le courage
D’ensevelir mes jours dans ce désert sauvage.
Cela seul, dit de la manière dont Mme de La Harpe le récite, fait cent fois plus d’effet qu’un monologue, qui est presque toujours du remplissage.
Ah ! si vous aviez deux vieillards attendrissants ! Non, vous dis-je, cette pièce n’a jamais été bien jouée que par nous. J’avertirai toujours qu’il faut qu’Obéide pleure à ces vers :
Laisse dans ces déserts ta fidèle Obéide…
Quand je dois tant haïr ce funeste Athamare.
Si tout finit pour moi, toi seul en es la cause ;
Toi seul m’as condamnée à vivre en ces déserts.
Ah ! c’est pour mon malheur !.............
Va, c’est toi qui reviens pour m’arracher le cœur.
Et puis, quand son père lui dit :
Mais qu’il parte à l’instant ; que jamais sa présence
N’épouvante un asile ouvert à l’innocence .
comme elle doit répondre avec une voix entrecoupée :
C’est ce que je prétends, seigneur !
comme elle doit dire douloureusement :
Et plût aux dieux
Que son fatal aspect n’eût point blessé mes yeux !
Relisez la pièce d’une tire, je vous en prie, et voyez si, étant jouée avec un concert unanime, par des acteurs intelligents et animés, elle ne doit pas attacher le spectateur d’un bout à l’autre. Voyez si le style n’est pas convenable au sujet ; si ce n’est pas une critique ridicule, et digne d’un Fréron, de vouloir qu’Obéide parle comme Sémiramis, Sozame comme Mahomet, et Indatire comme César.
On ne laisse pas de sentir un peu d’indignation de se voir si mal jugé. Ah ! Velches ! maudits Velches ! quand je vous donne du grand, vous dites que je suis boursouflé, et quand je vous donne du simple, vous dites que je suis bas. Allez, vous ne méritez pas les peines que je prends pour vous depuis cinquante années ; je vous abandonne à votre sens réprouvé.
Monsieur le marquis de Chauvelin, je vous demande pardon de ne vous avoir pas écrit. Lisez la pièce, en voilà trois exemplaires ; voyez l’effet qu’elle fera sur vous.
Messieurs, détrompez tant que vous pourrez les belles dames ; je les respecte fort, mais jamais je n’approuverai le monologue qu’elles demandent sur un amour adultère dont il ne faut pas dire un mot.
Et toi, pauvre Théâtre-Français, qui n’as qu’un seul acteur 1, et encore est-il trop gros ; toi qui n’approches pas de notre petit théâtre de Ferney, est-il possible que tu n’aies ni confident ni second rôle ? Ferme donc ta porte, malheureux !
Faites comme vous pourrez, mes anges ; mais venons-en à notre honneur et mettez-moi dans l’occasion aux pieds d’Elochivis et de Nalrisp 2.
A l’égard de Valider 3, je crois que cette âme-là se soucie peu d’une tragédie, et que vous ne vivez pas le long du jour avec lui.
Le faiseur de buste a mandé qu’il avait envoyé, par une diligence qui va de Besançon à Paris, un petit buste d’ivoire dont l’original vous adore. Ce n’était pas ce que je lui avais demandé ; je ne l’ai point vu : je suis contredit en tout dans les déserts de Scythie.
Je reçois dans le moment une lettre de M. de Thibouville, lettre funeste, lettre odieuse, dans laquelle il propose un froid réchauffé du monologue d’Alzire . Cela est intolérable. Ce qui est bon dans Alzire est affreux dans les Scythes. Il est beau qu’Obéide, étant adultère dans son cœur, se cache dans son crime ; il est beau qu’elle l’expie en épousant Indatire ; mais il faut que l’actrice fasse sentir qu’elle est folle d’Athamare ; il y a vingt vers qui le disent. Comment n’a-t-on pas compris que ce détestable monologue serait absolument incompatible avec le rôle d’Obéide ? Une telle proposition excite ma juste colère.
M.de Thibouville me mande que mon ange prend des bouillons purgatifs. Ah ! mes anges, portez-vous bien, si vous voulez que je vive.
V.»
1 Lekain .
2 Choiseul et Pralin .Voir lettre du 3 janvier 1767 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/04/08/j-emporte-aux-enfers-ma-juste-indignation-6375571.html
3 Laverdy .
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