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27/03/2013

Ma nièce et moi, nous avons de très-bonnes mœurs dont j'enrage; mais il faut bien à mon âge avoir ce petit mérite

... Le "pouvoir" et le "vouloir" contrariés sont parfois sources de vertu, dont on se passerait bien . 

 

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« A M. Nicolas-Claude THIERIOT.
chez Madame la contesse de Montmorency

rue Vivienne à Paris
Lausanne, 21 janvier [1758].
Eh bien, mon ancien et tranquille ami, comment traite-t-on les cacouacs? La guerre est donc partout; et tandis qu'on s'extermine en Allemagne au milieu des neiges, on attaque de tous côtés les pauvres encyclopédistes à Paris. Je crois que je leur ai porté malheur en travaillant pour eux. Messieurs les prêtres de Genève se plaignent que M. d'Alembert leur fasse l'honneur de les ranger parmi les philosophes. Ils disent que ce nom n'a jamais convenu à gens de leur espèce, et ils demandent réparation . M. d'Alembert, de son côté, fatigué de toutes les criailleries de ses adversaires, et persécuté sourdement par les enfants d'Ignace, sans pouvoir plaire aux enfants de Calvin, renonce à l'Encyclopédie mais il faut espérer qu'il ne persistera pas dans son dépit. Il ne faut pas que le maréchal de Saxe quitte le commandement de l'armée parce qu'il a des tracasseries à la cour.
J'ai reçu l'Iphigénie que M. de La Touche 1 a eu la bonté de m'envoyer. Nous pourrions bien la jouer cet hiver dans notre tripot de Lausanne. M. d'Alembert conseille à messieurs de Genève d'avoir dans leur ville une troupe de comédiens de bonnes mœurs, c'est ce que nous nous flattons d'être à Lausanne. Ma nièce et moi, nous avons de très-bonnes mœurs dont j'enrage; mais il faut bien à mon âge avoir ce petit mérite. Nous avons une fille 2 du général Constant, et une belle-fille de ce fameux marquis de Langalerie 3, qui ont aussi les meilleures mœurs du monde, quoiqu'elles soient assez belles pour en avoir de très- mauvaises. Enfin notre troupe est fort édifiante, et, de plus, elle est quelquefois fort bonne. On ne peut guère passer plus doucement sa vie, loin des horreurs de la guerre et des tracasseries littéraires de Paris. Ah mon ami, que les grosses gelinottes sont bonnes, mais qu'elles sont difficiles à digérer, mon cuisiner et mon apothicaire me tuent. Adieu, je suis fâché de ne vous point revoir avant de rendre mon âme et mon corps à celui qui m'a donné ces deux mauvais outils .»

1 Iphigénie en Tauride de Guimond de La Touche .

2V* veut sans doute dire « belle-fille » en pensant soit à Mme Constant de Rebecque, soit à Mme Constant d'Hermenches , laquelle est la plus plausible car elle vient d'arriver à Lausanne avec son mari : Louise-Anna-Jeanne-Françoise de Seigneux, épouse de David-Louis Constant d'Hermenches .

3 Suzanne-Angélique-Alexandrine, sœur de David-Louis et de François-Marc-Samuel Constant, épouse de Frédéric-Philippe-Alexandre de Gentils, marquis de Langallerie, propriétaire jusqu'en 1750 du château d'Allaman tout proche .

 

26/03/2013

sans me lamenter le moins du monde avec vous sur les misères humaines

... Est ce que je vais esssayer de faire, car à la relecture des mes commentaires/en-tête, je m'aperçois que je sombre depuis quelques semaines dans des considérations un peu rasoir et que le gris n'est pas loin de virer au noir . Retrouvons l'optimisme qui est un moteur bien plus puissant que de ressasser les bourdes humaines quotidiennes, y compris les miennes .

Allez, banzaï !

 

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« A M. Élie BERTRAND.
premier pasteur, à Berne
A Lausanne, 19 janvier [1758].
J'ai été un peu malade, mon cher philosophe, c'est un tribut que je paye à toutes les saisons. Et ce tribut mange ceux de l'amitié que je vous dois. Je ne vous ai point écrit, j'ai laissé prendre Breslau, et Lignitz, et peut-être Schweidnitz, et les troupes prussiennes entrer en Moravie sans me lamenter le moins du monde avec vous sur les misères humaines. J'ai laissé les pasteurs de Genève s'assembler, se remuer, s'agiter, proposer, contredire, et ne savoir que faire, sans vous en dire le moindre mot. Il y en a quelques-uns qui disent qu'on n'a que des grâces à rendre à M. d'Alembert, qui a peint le clergé suisse plus sage que le clergé français . D'autres sont fâchés sérieusement, d'autres affectent de l'être. Le temps adoucira tout. Ce petit orage ne submergera pas ceux qui ne sont pas de l'avis de l'omousios 1, et petit à petit on reviendra à ce qu'il y a de plus simple et de plus naturel.

Les affaires d'Allemagne sont un peu plus intéressantes. On dit Shweidnitz pris, ne pourrait-on point en demeurer là ? Si l'impératrice voulait renoncer à la Silésie, on ne pillerait plus, on n'égorgerait plus. Mais quidquid delirant reges, plectuntur Achivi 2: c'est mon refrain. Madame la margrave de Baireuth me mande 3 que, le 23 et le 24 décembre dernier, il y eut des tremblements de terre considérables autour de sa ville, à quatre milles à la ronde, précédés de bruits souterrains assez effrayants. Voilà encore de quoi mettre dans votre greffe 4. Il résultera de vos observations que les tremblements sont plus fréquents que les aurores boréales . On ne faisait attention autrefois qu'aux aurores boréales singulières qui étaient suivies de quelque grand événement. On ne parlait que des tremblements qui engloutissaient des villes, on négligeait les autres. On découvrira peut-être qu'il y a une douzaine de tremblements de terre année commune dans notre petit globe et que c'est une suite naturelle de sa constitution. J'ai bien peur que la guerre et les autres fléaux ne soient aussi une suite nécessaire de notre malheureuse constitution morale. Adieu, la constitution de mon âme est de vous être attaché .
Mille tendres respects à M. et de Freudenreich.

V. »

1 Venant du grec signifiant « de même essence », on parle ici de la consubstantialité des personnes de la Trinité .

2 De toutes les folies des rois, ce sont les Achéens qui portent la peine . Horace, Epîtres, I, II, 14 .

3 Le 27 décembre 1757 : « nous avons eu ici, il y a trois jours trois secousses d'un tremblement de terre … Il n'a causé aucun dommage . On n'a point l'exemple d'un pareil phénomène dans ce pays ... » : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/02/28/je-vous-adresse-la-lettre-ci-jointe-pour-le-chapeau-rouge-3.html

4 Bertrand préparait une nouvelle édition de ses Mémoires sur la structure intérieure de la terre . V* emploie « greffe » pour désigner le « lieu où l'on conserve ce qui est écrit. ». http://books.google.fr/books?id=vwwKAAAAIAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

 

25/03/2013

Ameutez-vous, et vous serez les maîtres. Je vous parle en républicain ...Ô la pauvre république!

... Suite de la manif contre le mariage pour tous : la république n'a que faire de tel mouvement . Les forces de police , ô ironie, ont simplement appliqué les consignes de l'ex-ministre Guaino qui me rappelle les joueurs de Jokari distraits se prenant leur balle en pleine tête . 

 

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Sur les trois cent mille ou un million de traine-intolérance de ce dimanche , combien ont un fils ou une fille homosexuel(le) ? Combien savent vraiment ce que ceux-ci vivent au quotidien ? Combien  de papas-mamans, parisiens d'un jour, auront divorcé dans les trois ans qui viennent ?

Ô pauvre république que celle de ces myopes de l'esprit !

 

 

 

« A M. Jean Le Rond d'ALEMBERT.

A Lausanne, 19 janvier [1758].

Je reçois, mon cher philosophe, votre lettre du 11. Je vous dirai que je viens de lire votre article Géométrie. Quoique je sois un peu rouillé sur ces matières, j'ai eu un plaisir très-vif, et j'ai admiré les vues fines et profondes que vous répandez partout. Je vous ai envoyé Hémistiche et Heureux 1, que vous m'avez demandés. Hémistiche n'est pas une commission bien brillante. Cependant, en ornant un peu la matière, j'en aurai peut-être fait un article utile pour les gens de lettres et pour les amateurs. Rien n'est à dédaigner, et je ferai le mot Virgule quand vous le voudrez. Je vous répète que je mettrai toujours avec grand plaisir des grains de sable à votre pyramide mais ne l'abandonnez donc pas, ne faites donc pas ce que vos ridicules ennemis voulaient, ne leur donnez donc pas cet impertinent triomphe.
Il y a quarante ans et plus que je fais le malheureux métier d'homme de lettres, et il y a quarante ans que je suis accablé d'ennemis. Je ferais une bibliothèque des injures qu'on a vomies contre moi, et des calomnies qu'on a prodiguées. J'étais seul, sans aucun partisan, sans aucun appui, et livré aux bêtes comme un premier chrétien. C'est ainsi que j'ai passé ma vie à Paris. Vous n'êtes pas assurément dans cette situation cruelle et avilissante, qui a été l'unique récompense de mes travaux. Vous êtes des deux Académies, pensionné du roi 2. Ce grand ouvrage de l'Encyclopédie, auquel la nation doit s'intéresser, vous est commun avec une douzaine d'hommes supérieurs qui doivent s'unir à vous. Que ne vous adressez-vous en corps à M. de Malesherbes?3 que ne prescrivez-vous les conditions? On a besoin de votre ouvrage il est devenu nécessaire il faudra bien qu'on vous facilite les moyens de le continuer avec honneur et sans dégoût. La gloire de M. de Malesherbes y est intéressée. On doit vous supplier d'achever un ouvrage qui doit toujours se perfectionner, et qui devient meilleur à mesure qu'il avance.

Je ne conçois pas comment tous ceux qui travaillent ne s'assemblent pas, et ne déclarent pas qu'ils renonceront à tout si on ne les soutient mais, après la promesse d'être soutenus, il faut qu'ils travaillent. Faites un corps, messieurs, un corps est toujours respectable. Je sais bien que ni Cicéron ni Locke n'ont été obligés de soumettre leurs ouvrages aux commis de la douane des pensées, je sais qu'il est honteux qu'une société d'esprits supérieurs, qui travaillent pour le bien du genre humain, soit assujettie à des censeurs indignes de vous lire, mais ne pouvez- vous pas choisir quelques réviseurs raisonnables ? M. de Malesherbes ne peut-il pas vous aider dans ce choix ? Ameutez-vous, et vous serez les maîtres. Je vous parle en républicain mais aussi il s'agit de la république des lettres. Ô la pauvre république!
Venons à l'article Genève. Un ministre me mande qu'on vous doit des remerciements; je crois vous l'avoir déjà dit. D'autres se fâchent, d'autres font semblant de se fâcher, quelques-uns excitent le peuple, quelques autres veulent exciter les magistrats. Le théologien Vernet, qui a imprimé que la révélation est utile est à la tête de la commission établie pour voir ce qu'on doit faire 4, le grand médecin Tronchin est secrétaire de cette commission, et vous savez combien il est prudent. Vous n'ignorez pas combien on a crié sur l'âme atroce de Calvin, mot qui n'était pas dans ma lettre à Thieriot, imprimée dans le Mercure galant, et très-fautivement imprimée. J'ai une maison dans le voisinage qui me coûte plus de cent mille francs aujourd'hui, on n'a point démoli ma maison. Je me suis contenté de dire à mes amis que l'âme atroce avait été en effet dans Calvin, et n'était point dans ma lettre. Les magistrats et les prêtres sont venus dîner chez moi comme à l'ordinaire. Continuez à me laisser avec Tronchin le soin de la plaisante affaire des sociniens de Genève, vous les reconnaissez pour chrétiens, comme M. Chicaneau reconnaît de Pimbesche
Pour femme très-sensée et de bon jugement 5.
Il suffit. Je suis seulement très-fâché que deux ou trois lignes vous empêchent de revenir chez nous. Je vous embrasse tendrement.
P. S. Permettez-moi seulement les politesses avec ces sociniens honteux, ce n'est pas le tout de se moquer d'eux, il faut encore être poli. Moquez-vous de tout, et soyez gai. »

2 D'Alembert était au nombre des pensionnaires dans l'Académie des sciences.

3 Voir sur son rôle de censeur : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1995-04-0106-013

4 La Vénérable Compagnie des pasteurs avait fait dresser un mémoire à l'usage du Conseil de Genève après avoir nommé des commissionnaires pour examiner l'article « Genève » . Voir entre autres la délibération du Conseil du 8 février 1758 qui demande « qu'il ne fût fait aucune mention du Magistrat dans le mémoire de la Vénérable Compagnie » ; voir aussi lettre du 7 mars 1758 à d'Alembert : page 417 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411355v/f420.image

5 Les Plaideurs de Racine .