08/01/2011
je vous conjure instamment d'avoir toujours du courage
« A Jean Le Rond d'Alembert
A Lausanne, 8 de janvier [1758]
On se vante à Genève que vous êtes obligé de quitter l'Encyclopédie, non seulement à cause de l'article Genève, mais pour d'autres raisons que les prêtres n'expliquent pas à votre avantage i. Si vous avez quelque dégoût mon cher philosophe, mon cher ami, je vous conjure de le vaincre ; ne vous découragez pas dans une si belle carrière. Je voudrais que vous et M. Diderot, et tous vos associés, protestassent qu'en effet ils abandonneront l'ouvrage, s'ils ne sont libres, s'ils ne sont à l'abri de la calomnie, si on n'impose pas silence, par exemple, aux nouveaux Garasse qui vous appellent des Kakouacs ii; mais que vous seul renonciez à ce grand ouvrage, tandis que les autres le continueront, que vous fournissiez ce malheureux triomphe à vos indignes ennemis, que vous laissiez penser que vous avez été forcé de quitter, c'est ce que je ne souffrirai jamais ; et je vous conjure instamment d'avoir toujours du courage . Il eût fallu, je le sais, que ce grand ouvrage eût été fait et imprimé dans un pays libre, ou sous les yeux d'un prince philosophe iii; mais, tel qu'il est, il aura toujours des traits dont les gens qui pensent vous auront une éternelle obligation.
Que veulent dire ceux qui vous reprochent d'avoir trahi le secret de Genève iv? Est-ce en secret que Vernet, qui vient établir une commission de prêtres contre vous v, a imprimé que la révélation est utile ? est-ce en secret que le mot de Trinité ne se trouve pas une fois dans son catéchisme vi? est-ce en secret que les autres impertinents prêtres de Hollande ont voulu le condamner ? Vous n'avez dit que ce que savent toutes les communions protestantes ; votre livre est un registre public des opinions publiques. Ne vous rétractez jamais, et ne paraissez pas céder à ces misérables en renonçant à l'Encyclopédie. Vous ne pourriez faire une plus mauvaise démarche, et surement vous ne la ferez pas. On vous écrira une lettre emmiellée ; ne vous y laissez pas attraper, de quelque part qu'elle vienne. On écrira à M. de Malesherbes ; c'est à lui de vous soutenir, et vous n'avez besoin d'être soutenu de personne.
Enfin, au nom des lettres et de votre gloire, soyez ferme, et travaillez à l'Encyclopédie.
Voici Hémistiche et Heureux vii. J'ai tâché de rendre ces articles instructifs ; je déteste la déclamation. Bonsoir ; expliquez-moi, je vous en prie, toutes vos intentions, et comptez que vous n'avez ni de plus grand admirateur ni d'ami plus attaché que le vieux Suisse V. »
i Le 11, d'Alembert écrit à V* qu'il est « excédé » des « satires odieuses ... qu'on publie contre (les encyclopédiste), et qui sont autorisées ... commandées même par ceux qui ont l'autorité en main » et de « l'inquisition nouvelle et intolérable qu'on veut exercer ». Les ennemis de d'Alembert parlent de questions d'argent.
Page 93 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80034x.r=11+janvier...
ii Le 27 décembre, Thieriot annonça à V* que les jésuites allaient publier un « écrit périodique intitulé La religion vengée » où ils devaient attaquer d'Alembert et Diderot et qu'ils faisaient « précéder ce grand ouvrage d'une satire allégorique ... dans laquelle ils les appellent des Kakouacs, d'après le mot grec kakos, méchant ». Ce mot kakouac est déjà utilisé dans le Mercure d'octobre 1757 où était inséré un premier mémoire sur les cacouacs sous le titre d'Avis utile ; cacouac alors désignait un monstre ayant sous la langue une poche de poison distillé à chaque mot. Jacob-Nicolas Moreau a publié en décembre 1757 un Nouveau Mémoire pour servir à l'histoire des cacouacs. François Garasse (1585-1631) fut un prédicateur jésuite pamphlétaire virulent.
iii Frédéric II de Prusse.
iv A Théodore Tronchin, le 15 janvier : « Tous vos ministres ... chez qui d'Alembert dînait tous les jours (Genève août 1756) se sont expliqués hautement avec lui ».
v Le 23 décembre la Vénérable Compagnie des pasteurs s'est réunie et a nommé des commissaires pour examiner l'article Genève de l'Encyclopédie. Elle a fait rédiger un mémoire à l'intention du Conseil de Genève . Théodore Tronchin, selon V*, est secrétaire du « comité des pères de l'Église ». le texte de la déclaration sera lu devant la Compagnie le 20 janvier 1758, adopté le 27 janvier et publié le 8 février à 1500 exemplaires.
vi Dans son Instruction chrétienne ou catéchisme familier pour les enfants. Dans l'édition 1754, Vernet intitule sa première section , Utilité de la révélation, alors qu'elle était nommée Nécessité de la révélation dans l'édition précédente
vii Ces articles paraitront dans le tome VIII en 1765.
Hémistiche : page 206 : http://books.google.be/books?id=hlg_AAAAcAAJ&pg=PA208...
Heureux : page 407, et : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-dictionnaire-ph...
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