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07/04/2013

Je m'affermis tous les jours dans l'opinion qu'il ne faut pas perdre un demi-quart d'heure de sommeil pour leur plaire

... Dédicace aux Parisiens de ma part, avec les justes paroles de Voltaire .

Sur ce, je me couche sans tarder .

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« A Charles-Augustin FERRIOL, comte d'ARGENTAL
A Lausanne, 5 février [1758]
Je me flatte, mon divin ange, que M. le comte de Choiseul a reçu ma lettre 1; je lui fais mon compliment, et surtout au prince Henri 2, qui a prévenu sa sœur, c'était à qui des deux ferait une action honnête. Ce Henri est très-aimable; ce n'est pas Henri IV, mais il a des grâces, des talents, de la douceur, et c'est lui qui était à la tête de cinq bataillons devant qui toute votre armée prit la poudre d'escampette le 5 novembre, journée qui a changé la destinée de l'Allemagne. Je reconnais bien mes chers compatriotes à l'enthousiasme où ils sont à présent pour le roi de Prusse, qu'ils regardaient comme Mandrin 3 il y a cinq ou six mois. Les Parisiens passent leur temps à élever des statues et à les briser; ils se divertissent à siffler et à battre des mains et, avec bien moins d'esprit que les Athéniens, ils en ont tous les défauts, et sont encore plus excessifs.
Je m'affermis tous les jours dans l'opinion qu'il ne faut pas perdre un demi-quart d'heure de sommeil pour leur plaire. La persécution excitée contre l'Encyclopédie achève de me rendre mon lac délicieux; je goûte le plaisir d'être mieux logé que les trois quarts de vos importants, et d'être entièrement libre. Si j'avais été à la tête de l'Encyclopédie, je serais venu où je suis; jugez si j'y dois rester.
La littérature est un brigandage; le théâtre est une arène où on est livré aux bêtes; et une médaille 4 pour deux succès, qui d'ordinaire sont deux exemples de mauvais goût, n'est qu'une sottise de plus. Les fous de la cour portaient autrefois des médailles; c'est apparemment celles-là qu'on donnera.
Nos médailles sont ici d'excellents soupers; nous n'avons point de cabales, on regarde comme très-grande faveur d'être admis à nos spectacles. Les habits sont magnifiques, nos acteurs ne sont pas mauvais. Mme Denis est devenue supérieure dans les rôles de mère; je ne suis pas mauvais pour les vieux fous; nous ne pouvons commencer que dans quinze jours, parce que nous avons eu des malades, voilà l'état des choses. Je suis très-touché de l'état de Mme d'Argental il faut qu'elle vienne à Épidaure consulter Esculape 5. Mme d'Épinai a obtenu des nerfs, Mme de Muy a été guérie, ma nièce Fontaine a été tirée de la mort. Il faut aller à Lyon voir son oncle 6; de là, dans une terre qui est à M. de Mondorge ou à son frère; et, de cette terre, aux Délices. Je vous prie de dire à M. le chevalier de Chauvelin 7 que je lui souhaite quelque étisie, quelque marasme, quelque atrophie, afin qu'il prenne son chemin par Genève, quand il retournera à Turin.
Mais qu'est devenue la maison de votre île 8? Que ne demandez- vous un remboursement sur Hanovre ou sur Clèves? J'entends dire que M. le maréchal de Richelieu s'est remboursé de ce que la guerre contre l’Angleterre lui a fait perdre sur les sels de Brouage 9. Cela est très raisonnable . Rien n'est plus juste que de vivre aux dépens de George .

Comment vont vos affaires de Cadix? Ne recevez-vous pas quelques débris de temps en temps? Vivez heureux, mon cher ange; ce sont les vœux du plus maigre Suisse des Treize-Cantons. 

V.» 

1 Non connue .

2 Frère de Frédéric II et de la margravine de Baireuth .

3 Le fameux brigand Mandrin avait été pris et exécuté en 1755 suite à la trahison d'une femme .Voir lettre à la comtesse de Lutzelbourg du 9 novembre 1756 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/08/31/pourquoi-donc-les-francs-les-gaulois-ne-marchent-ils-pas.html

5 Le célèbre médecin Théodore Tronchin à Genève .

6 Le cardinal de Tencin , oncle de d'Argental .

7 Bernard-Louis de Chauvelin , ambassadeur français auprès du roi de Sardaigne .On verra qu'il portera le titre de marquis dans une lettre de V* du 6 novembre 1759 .

9  Les marais salants de Brouage près de l'île d'Aix ; voir lettre du 5 janvier 1758 à d'Argental .

 

06/04/2013

Que Paris est encore bête

... A manger du foin !

Prêt à passer sous les fourches caudines du Qatar pour la gloriole d'un prince (auto proclamé ! c'est plus facile quand on tient le sabre par la poignée ) qui lâchera les travaux prévus * si jamais ça ne lui rapporte pas assez .

*NDLR : projet de super stade parisien ; quid de l'ancien ?

Ou "comment se faire rouler, en une passe ! "

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« A M. Jean Le Rond d'ALEMBERT.

5 de février [1758]

A la réception de votre lettre du 28, j'ai lu vite les articles dont vous parlez 1, homme selon mon cœur, mon vrai, mon courageux philosophe. Ces articles augmentent mes regrets. Non, il n'est pas possible que la saine partie du public ne vous redemande à grands cris; mais il faut absolument que tous ceux qui ont travaillé avec vous quittent avec vous. Seront-ils assez indignes du nom de philosophes, assez lâches pour vous abandonner?
J'écrivis d'abord à M. Diderot, et je lui dis ce que je pense; je lui ai écrit encore. J'ai redemandé mes articles 2, et je n'ai point eu de réponse : ce procédé est rare.
La profession de foi des sociniens honteux est sous presse et presque finie. Les prêtres qui la font ont voulu parler au nom des magistrats comme au leur, et les magistrats ne l'ont pas souffert 3. Ils ont consumé un grand mois à ce bel ouvrage. « Voilà qui est bien long, disait-on.-Il faut un peu de temps, répondit Huber, quand il s'agit de donner un état à Jésus-Christ 4 . La seule politesse que je fasse consiste à dire que vous avez fait beaucoup d'honneur à la ville, que votre article 5 est l'éloge de la liberté, et que le gouvernement doit être flatté , que d'ailleurs vous n'avez certainement voulu blesser personne.
Qui donc a eu la bassesse d'envoyer un libelle en province 6? Est-ce quelque confesseur de quelque dame du palais ? Mme de Pompadour semblait faite pour protéger l'Encyclopédie. L'abbé de Bernis doit chérir cet ouvrage, s'il a le temps de le lire. Ne se feront-ils pas tous deux honneur d'en être le soutien? Je n'en sais rien, je vois tout de trop loin. Mettez-moi au fait, je vous en prie 7; point tant de cachets quand vous m'écrirez; quatre donnent du soupçon, un seul n'en donne pas.
Je ne me console point que les fanatiques vous rendent Paris désagréable, et vous empêchent de revoir les Délices. Mais pourquoi n'y pas revenir? Quand la profession de foi est faite, la paix l'est aussi.
Que Paris est encore bête . Cicéron et Lucrèce passèrent-ils par les mains des censeurs de livres ? Pourquoi cette rage contre la philosophie? Je ne m'accoutume point à voir les sages écrasés par les sots. J'ai le cœur navré. »

1Lettre du 28 janvier de d'Alembert : « J'en ai fait beaucoup d'autres pour ce 7ème volume … tels que Force, Fondamental, Gravitation, Gravité, Forme substantielle, Fortuit, Fornication, Futur contingent, Frères de la charité, , Fortune, etc. Vous trouverez aussi à la fin de l'article Goût des réflexions sur l'application de l'esprit philosophique aux matières de goût ... »

4 Huit jours plus tard V* corrigera l'attribution de ce mot de Jean Huber à Claire Cramer . Jean Huber né en 1722 à Genève est célèbre pour ses papiers découpés et ses portraits de V*.

5 Article Genève .

6 Voir lettre de d'Alembert du 28 janvier 1758 : « Croiriez-vous qu'une satire atroce contre nous qui se trouve dans une feuille périodique qu'on appelle les Affiches de Province, a été envoyée de Versailles à l'auteur [Meunier de Querlon] avec l'ordre de l'imprimer, et qu'après avoir autant qu'il a pu, jusqu'à s'exposer à perdre son gagne-pain, il a enfin imprimé cette satire, en l'adoucissant de son mieux ? ». Voir : http://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journaliste/574-gabriel-meusnier-de-querlon

Les Affiches de Province publiées par la Gazette de France , avaient donné dans le numéro du 28 décembre 1757 un compte-rendu très favorable du Nouveau mémoire pour servir à l'histoire des cacouacs . Voir : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k838027/f2.image

7  D'Alembert répondra le 15 février 1758 : « Vous me demandez si M. et Mme une telle ne nous protègent pas ? Pauvre républicain que vous êtes ! Si vous saviez de quel bureau partent quelques unes des satires dont nous nous plaignons …. vous sentiriez combien vous avez raison quand vous dites que vous voyez tout de trop loin . »

 

05/04/2013

J'apprends que le grenier est plus rempli de neige que je n'aurai jamais de vin dans ma cave

... Situation délicate, que j'ai connue, et pour laquelle on souhaite avoir le froid le plus vif laissant le temps d'évacuer l'intruse . Ah ! les surprises de l'hiver et de la bise !

Happyfeet chez Voltaire ! Quelles Délices!

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« A François TRONCHIN

conseiller d’État

à Genève

A Lausanne 2 février [1758]

Mon cher monsieur, quoique nous ne soyons pas à présent sur le même hémisphère, il faut cependant que je songe à notre maison des Délices qui est à l'autre bout de notre grand océan . Vous vous intéressez à cette maison . J'apprends que le grenier est plus rempli de neige que je n'aurai jamais de vin dans ma cave . Il s'agit d'un des travaux d'Hercule . C'est pis que de nettoyer les écuries d'Augias . M. Mallet 1 sait par où l'on monte à ce grenier funeste . J'envoie les clefs de la maison à M. Cathala 2 par le courrier et je charge mes gens de déballer la neige . On dit qu'il faut que les gens de M. Mallet aient la bonté de montrer une certaine trappe par laquelle on entre sous les tuiles dans ce magasin de glace . Maitre Mathey de son côté est instruit je crois de cette cache . Enfin il s'agit de préserver vos toits d'une ruine certaine . J'ai recours à vos bontés . Vous sentez combien j'aime une maison dans laquelle j'ai quelquefois le bonheur de vous voir . Mme Denis se joint à moi, nous présentons nos obéissances à toute la tribu que nous aimons de tout notre cœur .

V. »

1 Propriétaire précédent qui a vendu à V*.

2 Négociant de Genève .

 

04/04/2013

point de coups de fusil, de grosses pensions et des honneurs, et quelquefois une douce retraite

... Voilà ce que Cahuzac pensait avoir décroché, le traitre , le rapace, le filou, le chacal .

Stop ! je m'égare, je m'agace, je mégote, je médis. Ou pas !

Comment osè-je encore tirer sur un homme "fragile et dévasté" ? Tout simplement parce que  je crache sur  un médecin sans vocation autre  que faire du fric , un des nombreux parasites du monde médical qui par ses interventions grassement payées fait monter le prix des médicaments, un politicard avide . Esculape et Hippocrate doivent se retourner dans leurs tombes .  

Homme sans honneur, j'espère qu'on va  toucher à ce que tu aimes , ton fric et tes titres .

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« A Marie-Ursule de KLINGLIN, comtesse de LUTZELBOURG.
A Lausanne 1er février [1758].

Je suis bien touché du souvenir de M. le comte de Lutsbourg 1. Je lui souhaite des campagnes heureuses pendant l'été, et de bons quartiers d'hiver; point de coups de fusil, de grosses pensions et des honneurs, et quelquefois une douce retraite à l'île Jard avec la plus aimable et la plus respectable femme du monde, qui est madame sa mère.
La conversation du roi de Prusse et de l'Anglais Mitchell est imprimée, et n'en est guère plus vraie. Il se peut faire à toute force qu'un ministre anglais ait parlé de Dieu; mais il ne se peut qu'il ait dit au marquis de Brandebourg 2 que Dieu était le seul à qui l'Angleterre ne donnât pas de subsides, attendu que le marquis n'en a jamais reçu, et que le Danemark est actuellement le seul État qui reçoive des guinées.
Je vous supplie, madame, de vous tenir bien chaudement. Je n'ai plus de mouches; mais j'ai de la neige, et autant qu'il y en a sur l'Aller 3. Portez-vous bien, et moquez-vous du monde.
Mille respects. »

2 Frédéric II portait ce titre , ce dont se moquait V* .

 

03/04/2013

Quelles que soient les vues du ministère de France ne parait-il pas à l'homme supérieur qui vous développe ses sentiments qu'il faut toujours saisir cette ouverture

... N'est-ce pas François Hollande ? Il m'a paru , comme trop rarement, ferme et sincère, expressif et précis, tant le Jérôme Cahuzac le gonfle .

Confier le budget de la France à un expert du placement juteux mais frauduleux, mais voilà qui était une bonne idée là dis-donc ! C'est comme donner la clé du poulailler au renard .  Lequel renard a eu des larmes de crocodile en cèdant sa place avec des allures de martyr , -je le comprends,- c'est comme passer à coté de l'euromillion à un numéro près, ça émeut (meuh ! je passe toute la ménagerie en revue, non ? ) . Que risque-t-il avec les avocats qu'il peut s'offrir ? Qu'est-ce que l'Etat va pouvoir récupèrer ?

Une bonne chose dans tout ça, c'est que certains journalistes font la démonstration de la qualité de leurs investigations, et mettent le nez dans leur kk à ceux qui pronent la présomption d'innocence, particulièrement et presque uniquement, quand il s'agit de personnalités politiques , sacro-saintes ô combien, du style DSK ou Sarko . A suivre ...

 Saisissons l'ouverture

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« A Jean-Robert Tronchin

A Lausanne 29 janvier [1758]

J'écris mon cher monsieur, à M. Bouret 1, fermier général et je lui donne votre adresse . S'il arrive une permission pour les flambeaux 2, à la bonne heure, sinon il faudra payer ces prétendus droits qu'on exige .

L'affaire que vous savez est un peu plus importante, et en qualité de bon Français je m'y intéresse davantage . Quelles que soient les vues du ministère de France ne parait-il pas à l'homme supérieur qui vous développe ses sentiments qu'il faut toujours saisir cette ouverture et entretenir une correspondance laquelle ne compromettrait point le maître , qui serait uniquement entre les mains de Son Excellence 3 et dont on pourrait tirer un très grand avantage dans une conjoncture favorable 4? Le cardinal de Richelieu disait qu'on devait toujours négocier avec ses ennemis . Je ne dis peut-être là que des sottises , mais aussi je parle d'un métier qui n'est pas le mien .

Je ne sais quel jour part M. le maréchal de Richelieu . On ne débite à présent que de fausses nouvelles du roi de Prusse, du roi de Pologne, des Suédois et des Russes . L'enlèvement d'un magasin de farine par M. de Voyer ne paraît pas une affaire décisive si ce n'est pour les boulangers 5.

Avez-vous toujours M. et Mme de Montferrat 6 à Lyon ? Si vous les voyez, je vous prie de vouloir bien leur présenter mes respects .

Je suppose que dans le compte que vous avez la bonté de faire vous employez les 30 000 livres d'annuités et les 30 000 livres de loterie afin que je voie de quoi je puis disposer .

Mme Denis et moi nous vous sommes toujours bien sincèrement attachés .

V. »

3 Le cardinal de Tencin .

4 Le 30 janvier , écrivant de Paris au comte de Choiseul ambassadeur à Vienne, Bernis lui parlait d'une « lettre que la margrave de Baireuth a écrite au cardinal de Tencin avec qui elle avait fait connaissance à son passage à Lyon . M. de Voltaire a été mis au fait sur-le-champ de cette ouverture . »

5 L'incident était survenu une quinzaine de jours auparavant, près d'Halberstadt .

 

02/04/2013

Rendez-vous les maîtres absolus, ou abandonnez tout

 ... Votre ouvrage, votre pays, vos amis, vos chats et vos cafards , vos femmes et vos maitresses, votre percepteur et le loto, Money drop et Cauet, ... ! J'arrête ici, je ne veux pas y passer la nuit .

 Je tiens à rester parfaitement maître de moi-même, au moins .

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« A M. Jean Le Rond d'ALEMBERT.
A Lausanne, de mon lit, d'où je vois

dix lieues de lac,
29 de janvier [1758]
N'appelez point vos lettres du bavardage 1, mon digne et courageux philosophe; il faut, s'il vous plaît, s'entendre et parler de ses affaires.
On fait une grande profession de foi à Genève ; vous aurez le plaisir d'avoir réduit les hérétiques à publier un catéchisme. On se plaint de l'article des Comédiens, inséré dans celui de Genève; mais vous avez joint ce petit mot de la comédie à la requête des citoyens qui vous en ont prié. Ainsi d'un côté vous n'avez fait que céder à l'empressement des bourgeois, et de l'autre vous n'avez fait que répéter le sentiment des prêtres, sentiment publié dans le catéchisme d'un de leurs théologiens 2, et débité publiquement devant vous dans toutes les conversations.
Quand je vous ai supplié de reprendre l'Encyclopédie,`j'ignorais à quel excès de brutalité on avait poussé les libelles, et j'étais bien loin de soupçonner qu'ils fussent autorisés. Je vous ai écrit une grande lettre par Mme de Fontaine 3, elle est votre voisine ne pourriez-vous pas passer chez elle ?
Il serait triste qu'on crût que vous quittez l'Encyclopédie à cause de l'article Genève, comme on affecte d'en faire courir le bruit; mais il serait encore plus triste de continuer en étant exposé à des dégoûts qui doivent vous révolter autant qu'ils déshonorent la nation. Êtes-vous bien uni avec M. Diderot et les autres associés ? Funiculus triplex difficillime rumpitur 4. Quand vous signifierez tous ensemble que vous ne travaillerez qu'avec l'assurance de la liberté honnête qu'il vous faut, et de la protection qu'on vous doit, il faudra bien qu'on en vienne à vous prier de ne pas priver la France d'un monument devenu nécessaire. Les criailleries passeront, et l'ouvrage restera.
Il est beau de quitter tous ensemble et de donner des lois ; il serait désagréable pour vous de quitter seul, il ne faut point que la tête se sépare du corps.
Quand vous donnerez le premier volume, faites rougir dans une préface les lâches qui ont permis qu'on insultât à ceux qui seuls aujourd'hui travaillent pour la gloire de la nation et, pour Dieu, ne souffrez plus les insipides déclamations qu'on insère dans votre Encyclopédie. Ne donnez pas à nos ennemis le droit de se plaindre que ceux qui n'ont eu aucun succès dans les arts, où ils ont même été sifflés, osent donner les règles de ces arts, et prendre pour règles leurs ridicules imaginations. Bannissez la morale triviale dont on enfle certains articles. Le lecteur veut savoir les différentes acceptions d'un mot, et déteste un fade lieu commun sur ce mot. Qui vous force à déshonorer l'Encyclopédie par cet entassement de fadeurs et de fadaises qui donne un si beau champ aux critiques? et pourquoi joindre du velours de gueux à vos étoffes d'or? Rendez-vous les maîtres absolus, ou abandonnez tout. Malheureux enfants de Paris, il fallait faire cet ouvrage dans un pays libre. Vous avez travaillé pour des libraires 5; ils ont recueilli le profit, et vous recueillez les persécutions.
Tout cela me fait trouver ma retraite charmante. Je vous y regrette de tout mon cœur. Plût à Dieu que vous n'eussiez point vu de prêtres quand vous vîntes chez nous Mettez-moi au fait de tout, je vous en prie. » 

1 Voir lettre du 20 janvier 1758 de d'Alembert à V* : … vous avez dû recevoir il y a plusieurs jours une longue lettre de moi dont le bavardage vous aura sans doute ennuyé. »

4 Ecclésiaste ; IV, 12 : Un triple câble rompt difficilement .

5 Voltaire, quoique l'un des collaborateurs de l'Encyclopédie, à laquelle il n'avait pu souscrire qu'à la fin de 1756, ne manquait pas d'en payer chaque volume à Briasson, comme le confirme la fin de la lettre du 13 novembre 1756 à d'Alembert : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/11/13/8b7616856c4cc63e00eca0a0f081b4f5.html

 

01/04/2013

j'ai bien peur d'être condamné à rester sur les bords de mon lac, du moins ces bords sont paisibles

... Mon cher Volti, je crains bien de faire le contraire .

De toute manière, tu fais un pied de nez à ceux qui viennent auprès de ton tombeau : "parti au Panthéon pour cause de génie ".

Sans trucage

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« A Louise-Dorothée von Meiningen, duchesse de Saxe-Gotha.
A Lausanne, 27 janvier 1758.

 

Aux housards, et autres

 messieurs de cette espèce. 1

 

Meurtriers à brevet, avides de pillage,
Ne prenez point ma lettre; et souvenez-vous bien
Qu'en saisissant mes vers peu faits pour votre usage,
Vous n'y gagneriez jamais rien.

Housards, j'écris à Dorothée,
Aux grâces, à l'esprit, aux plus nobles appas,
A la douce vertu, de faiblesse exemptée;
Cela ne vous regarde pas.

Madame, après avoir présenté cette petite requête aux housards, je remercie d'abord Votre Altesse sérénissime de la lettre dont elle m'honore, en date du 17 janvier, et j'ose assurer que je rends bien à la grande maîtresse des cœurs toutes ses caresses. Ma lettre du 27 septembre de l'année passée 2 aurait eu le temps d'aller aux Indes, je l'avais donnée à M. le maréchal de Richelieu, dans l'idée qu'il viendrait vous faire sa cour, et me flattant, madame, que quand il verrait Votre Altesse sérénissime, on ne se battrait plus sur votre territoire. Apparemment que le dépit de ne pas jouir de l'honneur de vous voir lui aura fait longtemps garder ma lettre, et qu'il l'aura retrouvée en faisant ses paquets.
Je suis toujours Suisse, madame; mais quand serai-je Thuringien ? et quand la Thuringe n'entendra-t-elle plus parler de marches, de contre-marches et de combats? Hélas on ne nous fait pas espérer la paix pour cette année, ce meilleur des mondes possibles a encore quelques années à souffrir. Votre Altesse sérénissime reverra peut-être encore le héros formidable et aimable à qui elle a fait les honneurs de son palais, et qui semblait dans ce temps critique n'avoir rien à faire qu'à tâcher de lui plaire. Je vous avoue, madame, que j'aurais bien voulu me trouver là; mais j'ai bien peur d'être condamné à rester sur les bords de mon lac, du moins ces bords sont paisibles, et ceux des fleuves allemands ne le seront pas. On dit que le Danemark entre aussi dans la querelle 3. On dit qu'on va faire de tous côtés de nouveaux efforts.
Que me reste-t-il qu'à plaindre le genre humain dans ma retraite ?
J'avais procuré au roi de Prusse un abbé de Prades 4, prêtre, docteur, hérétique, et lecteur de Sa Majesté. On prétend qu'il a trahi son bienfaiteur, et qu'il est puni à Breslau d'un supplice bien étrange pour un prêtre. Je ne veux point le croire, mais je ne sais à qui en demander des nouvelles, c'est d'ailleurs bien peu de chose parmi tant de désastres publics. Je gémis sur ces misères, je souhaite à Votre Altesse sérénissime le bonheur qu'elle mérite. Je me mets à ses pieds et à ceux de son auguste famille avec le plus profond respect.
L'Ermite. »

2 Dans sa lettre du 14 janvier 1758, la duchesse de Saxe-Gotha répondait à la lettre du 22 septembre et non à celle du 27 (voir : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/12/25/voila-de-ces-revolutions-bien-capables-de-detromper-des-gran.html )

3 Le Danemark mit sur pied dix-huit mille hommes d'infanterie et six mille de cavalerie pour protéger Hambourg, Lubeck, et les possessions du duc de Holstein-Gottorp. La France lui fournit des subsides. (Georges Avenel.)