02/02/2022
La rage d’écrire et d’imprimer l’a saisi au point qu’il a cru que le public, enchanté de son style, lui pardonnerait sa noirceur
...Vingt quatre livres ( ce qui nous fait douze kilogrammes ) voilà pour le pensum à nous infligé par maître Zemmour Ier . Que d'arbres abattus pour tenter de faire connaître les diatribes de cet extrémiste ! De surcroît il se pavane et se réjouit de ralliements peu glorieux de mouches du coche, de ceux qui croient qu'il est venu le temps que les mouches changent d'âne ? Les mouches aiment bien ce qui pue , c'est tout . Un coup de queue les verra fuir illico .
« A Etienne-Noël Damilaville
3 novembre 1766 1
Je reçois votre lettre du 27, mon cher et vertueux ami. Vous ne me mandez point ce que pense le public de la folie et de l’ingratitude de Jean-Jacques. Il semble qu’on ait trouvé de l’éloquence dans son extravagante lettre à M. Hume. Les gens de lettres ont donc aujourd’hui le goût bien faux et bien égaré. Ne savent-ils pas que la première loi est de conformer son style à son sujet ? C’est le comble de l’impertinence d’affecter de grands mots quand il s’agit de petites choses. La lettre de Rousseau à M. Hume est aussi ridicule que le serait M. Chicaneau 2, s’il voulait s’exprimer comme Cinna et comme Auguste. On voit évidemment que ce charlatan, en écrivant sa lettre, songe à la rendre publique ; l’art y paraît à chaque ligne ; il est clair que c’est un ouvrage médité, et destiné au public. La rage d’écrire et d’imprimer l’a saisi au point qu’il a cru que le public, enchanté de son style, lui pardonnerait sa noirceur, et qu’il n’a pas hésité à calomnier son bienfaiteur dans l’espérance que sa fausse éloquence fera excuser son infâme procédé.
L’enragé qu’il est, m’a traité beaucoup plus mal encore que M. Hume ; il m’a accusé auprès de M. le prince de Conti et de Mme la duchesse de Luxembourg, de l’avoir fait condamner à Genève, et de l’avoir fait chasser de Suisse. Il le dit en Angleterre à quiconque veut l’entendre. Et pourquoi le dit-il ? C’est qu’il veut me rendre odieux. Et pourquoi veut-il me rendre odieux ? parce qu’il m’a outragé, parce qu’il m’écrivit, il y a plusieurs années, des lettres insolentes et absurdes, pour toute réponse à la bonté que j’avais eue de lui offrir une maison de campagne auprès de Genève.
C’est le plus méchant fou qui ait jamais existé, un singe qui mord ceux qui lui donnent à manger est plus raisonnable et plus humain que lui.
Comme je me trouve impliqué dans ses accusations contre M. Hume, j’ai été obligé d’écrire à cet estimable philosophe 3 un détail succinct de mes bontés pour Jean-Jacques, et de la singulière ingratitude dont il m’a payé. Je vous en enverrai une copie.
En attendant, je vous demande en grâce de faire voir à M. d’Alembert ce que je vous écris. M. d'Alembert s’est cru obligé de se justifier 4 de l’accusation intentée contre lui par Jean-Jacques d’avoir voulu se moquer de lui. L’accusation que j’essuie depuis près de deux ans est un peu plus ; sérieuse. Je serais un barbare si j’avais en effet persécuté Rousseau ; mais je serais un sot, si je ne prenais pas cette occasion de le confondre, et de faire voir sans réplique qu’il est le plus méchant fou qui ait jamais déshonoré la littérature.
Ce qui m’afflige, c’est que je n’ai aucune nouvelle de Meyrin. Je me porte toujours fort mal. Je vous embrasse tendrement et douloureusement. »
1 Texte de la copie contemporaine, avec l'emprunt du dernier paragraphe de l'edition Correspondance littéraire .
2 Personnage de la comédie des Plaideurs, de Racine .
4 La Déclaration de d’Alembert n’a pas été recueillie dans ses Œuvres : elle a été imprimée à la suite de l’Exposé succinct, etc.; voir une note 1 sur la lettre du 15 octobre 1766 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/01/13/m-6360082.html
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01/02/2022
Jouissez de vos passions, partagez-vous entre le travail et les plaisirs
... Voeux optimistes pour l'année du tigre !
« A Michel-Paul-Guy de Chabanon, de
l'Académie des sciences
rue du Doyenné
à Paris
3è novembre 1766 , à Ferney
Vous êtes donc, monsieur, tout à travers les ruines de l’empire romain, et vous faites pleurer votre Eudoxie sur les décombres de Rome. Quand aurai-je le plaisir de mêler mes larmes aux siennes ? Quand pourrai-je lire cet ouvrage, auquel je m’intéresse presque autant qu’à son auteur ? Quelque bon qu’il soit, il sera fort difficile qu’il soit aussi aimable que vous.
Vous prétendez donc que j’ai été amoureux dans mon temps tout comme un autre ? Vous pourriez ne vous pas tromper. Quiconque peint les passions les a ressenties, et il n’y a guère de barbouilleur qui n’ait exploité ses modèles. Voyez Jean-Jacques Rousseau : il traîne avec lui la belle Mlle Levasseur, sa blanchisseuse, âgée de cinquante ans, à laquelle il a fait trois enfants, qu’il a pourtant abandonnés pour s’attacher à l’éducation du seigneur Émile, et pour en faire un bon menuisier. C’est un grand charlatan et un grand misérable que ce Jean-Jacques Rousseau. J’aime mieux la charlatane Mlle Durancy, qui enchante le public, et à laquelle vous confierez probablement le rôle d’Eudoxie ou Eudocie.
Jouissez, monsieur, de tous vos talents, qui font votre gloire et votre bonheur. Jouissez de vos passions, partagez-vous entre le travail et les plaisirs, et n’oubliez pas un vieux solitaire si sensiblement pénétré de tout ce que vous valez.
Mme Denis vous fait mille tendres compliments.
V. »
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