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11/02/2010

j’ai cédé au désir de vous dire ce qu’en pense une femme

 

Coupe America !!

Il y a loin de la coupe à la mer amère.

http://www.youtube.com/watch?v=b8XdcG9VRg0

Allusion à deux géants, bateaux de course, tellement bien conçus qu'ils ne peuvent pas naviguer : pas assez de vent ! trop de vagues ! trop de vent ! y'a du brouillard ! le skipper s'est cassé un ongle !

Des motifs à n'en plus finir ! J'en passe et des meilleurs .

Tellement sophistiqués, tellement "pointus" qu'ils sont plus doués pour faire des ronds dans le bassin des Tuileries que sur mer.

C'est vrai que si tout se passait bien, cette course en trois manches (plus une quatrième , celle d'un avocat, dans laquelle on trouve tout , tout ce qu'il faut pour faire gagner le perdant  : c'est ça le sport nautique, oui, monsieur quand il ya autant de pognon en jeu !! ) pouvait être baclée en une semaine .

Je comprends que ceux qui sont bien payés à ne rien faire (si cracher dans l'eau pour faire des ronds !) ont intérêt à ce que leur engagement dure, dure ... Je viens négligemment de me mettre deux équipes de valeureux sportifs sur le dos ! Sans doute pas ! Je les vois mal tenir un winch d'une main et les écrits de Voltaire de l'autre , quoique ce ne soit pas incompatible , j'entends, une activité après l'autre ...

 

 

 

naufrage2.jpg

 

 

 

 

« A Pierre-Joseph Thoulier d’Olivet

 

A Cirey ce 12 février 1736

 

                            Si vous avez eu la goutte dans votre séjour du tumulte et de l’inquiétude [= Paris ! ], j’ai eu la fièvre, mon cher abbé, dans l’asile de la tranquillité.

 

                            Si bene calculum ponas, ubique naufragium invenies [si on calcule bien (les chances de la vie), partout on trouvera le naufrage ; Pétrone], mais il faut absolument que je vous apprenne que pendant mon indisposition Mme la marquise du Châtelet daignait me lire au chevet de mon lit. Vous allez croire peut-être qu’elle me lisait quelque chant de l’Arioste ou quelqu’un de nos romans. Non,  elle me lisait les Tusculanes de Cicéron, et après avoir goûté tous les charmes de cette belle latinité elle examinait votre traduction, et s’étonnait d’avoir du plaisir en français. Il est vrai qu’en admirant l’éloquence de ce grand homme, cette beauté de génie au caractère vrai de vertu et d’élévation qui règne dans cet ouvrage, et qui échauffe le cœur sans briller d’un vain éclat, après, dis-je, avoir rendu justice à la belle âme de Cicéron et au mérite comme à la difficulté d’une traduction si noble, elle ne pouvait s’empêcher de plaindre le siècle des Cicéron, des Lucrèce, des Hortensius, des Varron, d’avoir une physique si fausse et si méprisable, et malheureusement ils raisonnaient en métaphysique tout aussi faussement qu’en physique. C’est une chose pitoyable que toutes ces prétendues preuves de l’immortalité de l’âme alléguées par Platon. Ce qu’il  y a de plus pitoyable  peut-être est la confiance avec laquelle Cicéron les rapporte. Vous avez-vous-même dans vos notes osé faire sentir le faible de quelques unes de ces preuves, et si vous n’en avez pas dit davantage, nous nous en prenons à votre discrétion. Enfin le résultat de cette lecture était d’estimer le traducteur autant que nous méprisions les raisonnements de la philosophie ancienne. Mon lecteur ne pouvait se lasser d’admirer la morale de Cicéron et de blâmer ses raisonnements. Il faut avouer, mon cher abbé, que quelqu’un qui a lu Loke, ou plutôt qui est son Loke à soi-même, doit trouver les Platon des discoureurs et rien de plus. J’avoue qu’en fait de philosophie un chapitre de Loke ou de Clark est, par rapport au bavardage de l’Antiquité, ce que l’optique de Neuton est par rapport à celle de Descartes. Enfin vous en penserez ce qu’il vous plaira, mais j’ai cédé au désir de vous dire ce qu’en pense une femme conduite par les lumières d’une raison que l’amour-propre n’égare point, qui connait les philosophes anciens et modernes et qui n’aime que la vérité.  J’ai cru que c’était une chose flatteuse et rare pour vous d’être estimé d’une Française presque seule capable de connaitre votre original.

 

                            On doit vous avoir rendu votre malheureux livre de la vie de Vanini [ Vanini, exécuté en 1619 ; La Vie et les sentiments de Lucilio Vanini, 1717, de David Durand, livre demandé par V* le 30 novembre 1735 . cf lettres du 4 octobre 1735 et 6 janvier 1736 à d’Olivet]. L’autre exemplaire n’était pas encore arrivé à Paris. Ainsi je reprends le pardon que je vous demandais de ma méprise.

 

                            Avez-vous lu la traduction de l’Essai de Pope sur l’homme ? C’est un beau poème en anglais quoique mêlé d’idées bien fausses sur le bonheur. Adieu, augmentez mon bonheur en m’écrivant.

 

                            J’ai bien des anecdotes sur Corneille et sur Racine, et sur la littérature du beau siècle passé. Vous devriez augmenter mon magasin [pour le Siècle de Louis XIV ].

 

                            V. »

 

07/01/2009

Se promener dans les rues de Paris avec la robe de Platon

« A Charles Porée

Je vous envoie, mon cher Père, la nouvelle édition qu’on vient de faire de la tragédie d’Œdipe [1730]. J’ai eu soin d’effacer autant que j’ai pu les couleurs fades d’un amour déplacé, que j’avais mêlées malgré moi aux traits mâles et terribles que ce sujet exige .
Je veux d’abord que vous sachiez pour ma justification, que tout jeune que j’étais quand je fis l’Œdipe, je le composais à peu près tel que vous le voyez aujourd’hui. J’étais plein de la lecture des anciens et de vos leçons, et je connaissais fort peu le théatre de Paris ; je travaillai à peu près comme si j’avais été à Athènes .Je consultai M. Dacier qui était du pays [1714 ]. Il me conseilla de mettre un chœur dans toutes les scènes à la manière des Grecs. C’était me conseiller de me promener dans les rues de Paris avec la robe de Platon . J’eus bien de la peine seulement à obtenir que les comédiens de Paris voulussent exécuter les chœurs qui paraissent trois ou quatre fois dans la pièce ; j’en eu bien davantage à faire recevoir une tragédie presque sans amour . Les comédiennes se moquèrent de moi quand elles virent qu’il n’y avait point de rôle pour l’amoureuse . On trouva la scène de la double confidence entre Œdipe et Jocaste, tirée en partie de Sophocle, tout à fait insipide . En un mot, les acteurs, qui étaient dans ce temps là petits-maîtres et grands seigneurs, refusèrent de représenter l’ouvrage . J’étais extrêment jeune, je crus qu’ils avaient raison .Je gâtai ma pièce pour leur plaire, en affadissant par des sentiments de tendresse un sujet qui le comporte si peu . Quant on vit un peu d’amour, [ à la satisfaction de Mlle Desmares , nièce de la Champmeslé ] on fut moins mécontent de moi ; mais on ne voulut point du tout de cette grande scène entre Jocaste et Œdipe, on se moqua de Sophocle et de son imitateur . Je tins bon, je dis mes raisons, j’employai des amis . Enfin ce ne fut qu’à force de protections que j’obtins qu’on jouerait Œdipe [ novembre 1718 ]. Il y avait un acteur nommé Quinault, qui dit tout haut que pour me punir de mon opiniâtreté il fallait jouer la pièce telle qu’elle était avec ce mauvais quatrième acte tiré de grec . On me regardait d’ailleurs comme un téméraire d’oser traiter un sujet où Pierre Corneille avait si bien réussi . On trouvait alors l’Œdipe de Corneille excellent, je le trouvais un fort mauvais ouvrage, et je n’osais le dire . Je ne le dis enfin qu’au bout de douze ans, quand tout le monde est de mon avis . Il faut souvent bien du temps pour que justice soit exactement rendue . On l’a fait un peu plus tôt aux deux Oedipe de M. de La Motte [ 1726 ]. Le révérend père de Tournemine a dû vous communiquer la petite préface dans laquelle je lui livre bataille . M. de La Motte a bien de l’esprit, il est un peu comme cet athlète grec, qui quand il était terrassé, prouvait qu’il avait le dessus.
Je ne suis de son avis sur rien . Mais vous m’avez appris à faire une guerre d’honnête homme . J’écris avec tant de civilité contre lui que je l’ai demandé lui-même pour examinateur de cette préface où je tâche de lui prouver son tort à chaque ligne, et il a lui-même approuvé ma petite dissertation polémique  [ signée le 17 janvier 1730 ]. Voilà comme les gens de lettres devraient se combattre, voilà comme ils en useraient s’ils avaient été à votre école ; mais ils sont plus mordants d’ordinaire que des avocats, et plus emportés que des jansénistes . Les lettres humaines sont devenues très inhumaines . On injurie, on cabale, on se calomnie, on fait des couplets . Il est plaisant qu’il soit permis de dire aux gens par écrit ce qu’on n’oserait pas leur dire en face . Vous m’avez appris, mon cher père, à fuir ces bassesses, et à savoir vivre, comme à savoir écrire .

Les muses filles du ciel
Sont des sœurs sans jalousie,
Elles vivent d’ambroisie
Et non d’absinthe et de fiel,
Et quand Jupiter appelle
Leur assemblée immortelle,
Aux fêtes qu’il donne aux dieux,
Il défend que la satire
Trouble les sons de leur lyre
Par ses sons audacieux .

Adieu, mon cher et Révérend Père, je suis pour jamais à vous et aux vôtres avec la tendre reconnaissance que je vous dois et que ceux qui sont élevés par vous ne conservent pas toujours .

Voltaire
A Paris, ce 7 janvier 1729 [ou 1731 ?] »

Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Por%C3%A9e