Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

26/05/2009

Je hais les conquérants,....Je songe à l’humanité, Sire, avant de songer à vous-même

La lettre du jour me plait car on y trouve le Volti toujours aussi peu avare de compliments, lesquels compliments n'excluent pas l'expression du fond de la pensée de l'auteur. Plutôt que des lois répressives comme il en fleurit tous les jours (par la grâce de parlementaires et de ministres qui veulent justifier leur passage au pouvoir sans songer au réel bien du menu peuple ! SVP, oubliez ce mouvement d'aigreur matinal !!), Volti nous amène à réfléchir sur notre conduite, apprécie ce qui est correct et nous place face à l'insupportable que nous devons éviter . Il le dit et l'écrit, bien sot celui qui ne saurait pas en tirer les conséquences...

 

 

« A Fréderic II, roi de Prusse

 

 

Le Salomon du Nord en est donc l’Alexandre ?

Et l’amour de la terre en est aussi l’effroi ?

L’Autrichien vaincu fuyant devant mon roi [bataille de Chotusitz (=Czaslau) 17 mai]

Au monde à jamais doit apprendre

Qu’il faut que les guerriers prennent de vous la loi,

Comme on vit les savants la prendre.

J’aime peu les héros, ils font trop de fracas ;

Je hais les conquérants, fiers ennemis d’eux-mêmes,

Qui dans les horreurs des combats

Ont placé le bonheur suprême ;

Cherchant partout la mort, et la faisant souffrir

A cent mille hommes leurs semblables ;

Plus leur gloire a d’éclat, plus ils sont haïssables.

O ciel que je dois vous haïr !

Je vous aime pourtant, malgré tout ce carnage

Dont vous avez souillé les champs de nos Germains,

Malgré tous ces guerriers que vos vaillantes mains

Font passer au sombre rivage.

Vous êtes un héros ; mais vous êtes un sage.

Votre raison maudit les exploits inhumains

Où vous força votre courage,

            Au milieu des canons, sur des morts entassés,

Affrontant le trépas, et fixant la victoire,

Du sang des malheureux cimentant votre gloire,

Je vous pardonne tout, si vous gémissez.

 

Je songe à l’humanité, Sire, avant de songer à vous-même ; mais après avoir en abbé de Saint Pierre [ abbé Charles-Irénée Castel de Saint-Pierre, auteur d’un Projet de paix perpétuelle -1713, : Frederic dira : « il ne manque pour faire réussir ce projet que le consentement de l’Europe et quelque autre bagatelle semblable… » ; de Réflexions sur l’Anti-Machiavel de 1740 -1741 ] pleuré sur le genre humain dont vous devenez la terreur, je me livre à toute la joie que me donne votre gloire. Cette gloire sera complète si Votre Majesté force la reine d'Hongrie à recevoir la paix, et les Allemands à être heureux .Vous voilà le héros de l’Allemagne, et l’arbitre de l’Europe. Vous en serez le pacificateur, et nos prologues d’opéra [Quinault y  célébrait les victoires de Louis XIV] ne seront plus que pour vous.

 

La fortune qui se joue des hommes, mais qui vous semble asservie, arrange plaisamment les évènements de ce monde. Je savais bien que vous feriez de grandes actions ; j’étais sûr du beau siècle que vous alliez faire naître ; mais je ne me doutais pas, quand le comte du Four [Frederic avait fait un voyage sous le nom de comte du Four en 1740, avec son frère et Algarotti,  à Strasboug] allait voir le maréchal de Broglio, et qu’il n’en était pas trop content, qu’un jour ce comte du Four aurait la bonté de marcher avec une armée triomphante au secours du maréchal, et le délivrerait par une victoire. Votre Majesté n’a pas daigné jusqu’à présent instruire le monde des détails de cette journée. Elle a eu, je crois, autre chose à faire que des relations,[Friedrich von Borck apporta la nouvelle à Paris le 23 mai] mais votre modestie est trahie par quelques témoins oculaires, qui disent tous qu’on ne doit le gain de la bataille qu’à l’excès de courage et de prudence que vous avez montré. Ils ajoutent que mon héros est toujours sensible, et que ce même homme qui fait tuer tant de monde est au chevet du lit de M. de Rotembourg. Voilà ce que vous ne mandez point, et que vous pourrirez pourtant avouer comme des choses qui vous sont toutes naturelles. Continuez, Sire, mais faites autant d’heureux au moins dans ce monde que vous en avez ôté ; que mon Alexandre redevienne Salomon le plus tôt qu’il pourra, et qu’il daigne se souvenir quelquefois de son ancien admirateur, de celui qui par le cœur est à jamais son sujet, de celui qui voudrait passer sa vie à vos pieds, si l’amitié plus forte que les rois et que les héros, ne le retenait, et qui sera attaché à jamais à Votre Majesté avec le plus profond respect et la plus tendre vénération.

 

 

de Voltaire

A Paris ce 26 mai 1742. »

 

                       

 

Les commentaires sont fermés.