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06/06/2009

je me tue pour être persécuté. C’est la destinée d’un homme de lettres qui aime la vérité.

En ce jour anniversaire de débarquement, jour de fureur et de mort avant une libération, je pense au grand Jacques qui est à Rouen (non pas pour être grillé comme une merguez pucelle ) à l'insu de son mal gré et qui aimerait bien débarquer de son lit pour faire une virée en mer .Espoir de notre côté à l'annonce de sa reprise de voix : "va'z y, râle un bon coup, ça dégage les poumons".

 

 

 

 

 

Longue lettre d'un Volti qui brûle ses vaisseaux parisiens et fait un pari sur l'amour que lui porte Marie-Louise sans lui cacher la vérité des faits. Bel engagement de Volti qui connait ses limites jusqu'à se comparer à Abélard (bien sûr après l'opération que l'on sait !). Mme Denis suivra Volti encore de nombreuses années, avec des heurts et bonheurs, comment les éviter ?

 

 

 

« A Marie-Louise Denis

 

 

                            Ma chère enfant, il y avait longtemps que je n’avais entendu parler de vous. Votre lettre vient bien à propos pour tirer mon âme de la langueur désespérée où les souffrances continuelles, et les travaux exécutés avec crainte l’ont jetée. Il y a de la douceur à avouer son abattement à celle qui nous soutient. Je suis dans un  état fort triste, mais je m’imagine que tous les malades sont dans mon cas, lorsque le chagrin, l’incertitude de la destinée, et un peu de persécution se mettent de la partie.

 

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                            Je ne pourrai être que vers le douze à Plombières. Je vous l’ai déjà  mandé. Je vous conseille de vendre tout ce que vous pourrez et d’arriver vers le 20 avec beaucoup d’argent. Pourquoi ne vendriez-vous pas toute la vaisselle ?[vaisselle d’argent] Il faut se faire tout d’un coup un fonds avec lequel on puisse prendre sans embarras son parti en philosophe. Vous savez que le prince de Hesse est allé à Aix-la-Chapelle, qu’il ne paraît pas dans le dessein de prendre nos tableaux. Vous pourrez d’ici au 20 vous défaire de beaucoup de choses, et laisser le reste à vendre au portier ou à votre femme de chambre en leur indiquant les prix. En un mot faites tout comme il vous plaira.

 

                            J’envoie à M. De Malesherbes le troisième volume de l’Histoire universelle [la parenthèse est écrite en marge de la lettre ](c’est à condition qu’il ne le montrera à personne, car on l’imprimerait bien vite à Paris, comme les deux premiers, et cela ferait à mes libraires [Schoepflin, de Colmar et Walther de Dresde ; impression à Dresde et parution en France par Schoepflin, à l’étranger par Walther] un tort qu’ils pourraient me reprocher. Je vous en apporte un exemplaire aux eaux), que je donne uniquement pour faire voir que j’écris l’Histoire avec quelque exactitude. Je regarde ce 3ème tome comme mon apologie contre les deux premiers [publiés par Néaulme et d’après l’édition de Néaulme]. Je le soumets au goût, à l’esprit philosophique de M. de Malesherbes, je le recommande à ses bontés. Il peut y faire insérer les cartons qu’il jugera à propos. J’ai un quatrième volume tout prêt, un cinquième commencé, et si j’avais de la santé et la bibliothèque du roi, je renouerais bientôt le fil de toute cette Histoire universelle au Siècle de Louis XIV. Mais quand il s’agira d’imprimer ce qui regarde les guerres de religion, où faudra-t-il habiter ? Je ne peux à présent travailler aux deux premiers tomes quand le public est surchargé de neuf éditions faites en moins d’un an. Il faut du temps, il faut au moins une bibliothèque de moines [qu’il trouvera en séjournant à l’abbaye de Senones ] si on ne peut jouir de celle du roi. Cet ouvrage est immense, et je me tue pour être persécuté. C’est la destinée d’un homme de lettres qui aime la vérité.

 

                            Je suis fâché qu’on veuille dans l’Encyclopédie des articles si longs. Mais je rendrai celui de Littérature aussi ennuyeusement inutile qu’on voudra. [ il avait déjà fourni un petit « essai de quatre ou cinq pages » ; on lui demande de s’étendre ; V* répond : « Ne suffit-il pas dans un dictionnaire de définir, d’expliquer, de donner quelques exemples ? Faut-il discuter les ouvrages de tous ceux qui ont écrit sur la matière dont on parle ? »] .Si j’étais sur les lieux, je me ferais volontiers compagnon dans l’atelier de l’Encyclopédie.

 

                            Ma chère enfant, M. Liébault [Nicolas Liébault, proche de Mme de Graffigny] de Lorraine n’est point à portée de procurer des ouvertures et ce pays ne me convient guère. Je ne trouverais à Montpellier rien de ce qui m’est nécessaire pour l’Histoire universelle à laquelle je suis condamné.[il le dira à Richelieu, gouverneur du Languedoc]. Je vous ferai juge de ma situation et de ma conduite quand nous boirons des eaux dans ces montagnes cornues [Plombières]. J’ai reçu une scène de la tragédie [Amalazonte, jouée le 30 mai] de M. de Chimène dans un paquet énorme qui ressemble à un mémoire de bureau de ministre. Je vais pourtant le remercier.

 

                            Pagni n’est ni un bon physicien, ni un honnête homme [il avait fourni des machines pour expériences de physique à V* à Paris]. Tirez-en tout ce que vous pourrez. Qu’il fasse au moins un billet payable au porteur. Avec cette précaution on n’a point de procès en son nom et on se fait payer.

 

                            Ne remettez rien à Laleu ; apportez tout avec vous comme Bias [Bias  de Priène, un des sept sages de la Grèce qui partit les mains vides en disant qu’il emportait tous ses biens avec lui]. J’ai le malheur d’être réduit à être bien philosophe, si c’est de la philosophie que de n’aimer à vivre que dans la retraite et le travail. Mais vous ! ma chère enfant, comment vous accomoderez-vous d’une telle vie ? Nous verrons jusqu’à quel point vous êtes détrompée du monde. Héloïse veut-elle se faire religieuse avec Abélard V. ?

 

 

                            8 juin 1754 encore à Colmar. »

 

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