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19/03/2010

... soulager la veuve ; vingt personnes l’ont fait, pourquoi le roi ne le ferait-il pas ?

 

 

 

 

 

« A Claude-Henri de Fuzée de Voisenon

 

Aux Délices, 19 mars 1763

 

              En qualité de quinze-vint, je vous prie à tâtons, mon cher confrère, de me rendre un très grand service. Vous m’avez fait un si bel éloge de Mme la duchesse de Gramont, vous me l’avez peinte d’un esprit si solide et d’un cœur si généreux, que votre enthousiasme m’a enhardi à lui demander une nouvelle grâce après toutes celles qu’elle a daigné m’accorder[f1]  . J’abuse extrêmement, il est vrai de ses bontés ; mais il faut qu’elle m’accorde ce que je lui demande. C’est de se joindre à Mme de Pompadour, ou plutôt de joindre Mme de Pompadour à elle, pour obtenir du roi une aumône en faveur de la pauvre veuve Calas. Je dis une aumône sur sa cassette ; la plus légère, la plus mince nous suffira, et s’il n’a point d’argent, il faut qu’on lui en prête pour faire cette bonne œuvre. J’ai dans l’idée que l’Europe battrait des mains, que les protestants et catholiques applaudiraient, que tous les cœurs seraient touchés, que cette seule marque de bonté de la part de Sa Majesté ouvrirait les yeux à je ne sais combien de sots huguenots qui croient toujours qu’on veut les manger sur le gril , comme saint Laurent.

 

              Je m’adresse à vous, mon cher petit évêque [Voisenon, qui fit son discours de réception à l’Académie française le 22 janvier, signait « évêque de Montrouge » parce qu’il fréquentait la maison du duc de La Vallière à Montrouge], avec  la plus grande confiance, et je recommande cette petite négociation à votre humanité, à l’amitié dont vous m’honorez depuis si longtemps et à votre discrétion. Volez chez Mme la duchesse de Gramont, quand vous seriez asthmatique. Dites-lui que je vous ai fait confidence de l’extrême liberté que j’ai osé prendre avec elle ; que j’en suis bien honteux, que je lui en demande bien pardon ; mais faites réussir mon affaire, ayez-en la gloire ; je le dirai à tous les huguenots. N’aurez-vous pas d’ailleurs bien du plaisir à donner cet énorme soufflet aux huit juges de Toulouse, qui ont fait rouer, pour s’amuser, le père de famille le plus vertueux et le plus tendre qui fut dans ce pays des Visigoths ? D’ailleurs il y a une des filles assez jolie, qui s’est évanouie  deux fois à Versailles, il faut que le roi lui donne de quoi acheter de beau point de la reine de Hongrie [broderie fine]. Faites mon affaire, mon charmant confrère, Dieu vous bénira, et moi je vous adorerai.

 

              Voltaire

 

         On dira peut-être qu’il faut attendre que le procès soit fini ; non, il ne faut point attendre ; quand même Calas aurait pendu son fils, il faudrait encore soulager la veuve ; vingt personnes l’ont fait, pourquoi le roi ne le ferait-il pas ? en un mot, réussissez.

 

         Donnez votre bénédiction à Voltaire. »


 [f1]Dans sa lettre à la duchesse, du 18 mars : « (il) lui demande une grâce pour le capitaine Pictet, brave Suisse de Genève, elle l’accorde sur le champ. (Il) lui demande sa protection pour Mlle Corneille, et elle fait partir deux cents louis d’or pour la souscription du roi. (Il) l’implore pour la veuve Calas, et la veuve Calas gagne son procès. »

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