20/12/2010
Continuez, sœurs aimables, à me parler de cuisse . Cela console les vieux malheureux
Note rédigée le 27 juillet 2011 pour parution le 20 décembre 2010 .
Emue, peut-être par la vue d'autres cuisses remarquables (plus que les miennes, c'est sur !) à voir ci-après ...
« A Marie-Louise Denis
et à
Marie-Elisabeth de Dompierre de Fontaine
Colmar 20 décembre [1753]
Mesdames mes deux nièces, je reçois vos consolantes lettres qui m'apprennent que le mal de Mme Denis est sans danger, et qui me font supporter tous les miens . Que Dieu le rende aux deux sœurs de m'avoir écrit en même temps . Mon pied deviendra ce qu'il pourra, mais que la cuisse dont il s'agit se désenfle 1. Continuez, sœurs aimables, à me parler de cuisse . Cela console les vieux malheureux .
Cette prétendue Histoire universelle jusqu'à Charles Quint, qui est poussée jusqu'à notre Charles VII, cette sottise si sottement imprimée est un des effets du lutin qui préside à ma destinée . Le roi de Prusse est fait de toute façon pour me persécuter . Ce manuscrit très incorrect qu'il avait à la bataille de Sore tomba avec tous son bagage dans les mains des houzards du prince Charles 2. Un valet de chambre de ce prince l'a vendu à un faquin de libraire de Hollande 3, et je crois que ce sont les houzards qui ont conduit l'impression . Je tremble plus que jamais pour Jeanne 4 et pour sa cuisse et gorge nue .
Franchement je ne sais pas comment tout ceci finira, et je crains de finir aussi tristement que j'ai vécu .
Je crois être bien instruit que Cernin 5 a écrit à ce pauvre Ericard . Le pauvre homme, le sot qu'Ericard !6 C'est un plat personnage . En avez-vous des nouvelles ? Comment va son tripot ?
Je suis actuellement occupé à rédiger , à mettre en ordre des lettres à une certaine Mme Daurade 7. C'est un manuscrit du XVIè siècle qu'un fureteur m'a confié ; on peut faire de ce rogaton un ouvrage dans le goût de Paméla, une espèce d'histoire intéressante et suivie qui sera curieuse pour le XIXè siècle 8.
Pour ce siècle où nous vivons, il me paraît un tant soit peu absurde, et méprisable . Je le quitterai bientôt . Les frais en sont faits . Je me regarde comme un homme déjà mort . Je ne m'aperçois que je suis en vie, ma chère enfant, qu'à ma tendresse pour vous .
Pied pourri vous embrasse de tout son cœur . Votre frère 9 s'est avisé de m'écrire de Nantes où je cois qu'il court des bénéfices et des filles.
Adieu, je ne suis pas en état de courir .
V. »
2Voir lettre à Wilhelmine de Prusse, du 28 mars 1752 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/03/28/tout-est-perdu-quand-on-digere-mal-c-est-l-estomac-qui-fait.html#more
3 Jean Néaulme . Bien que ce libraire « qui a une boutique à Berlin comme à La Haye jure qu'il a acheté le manuscrit d'un valet du prince Charles », V* soupçonnera Frédéric ; le 25 décembre 1753, V* dit « que le roi de Prusse a donné à ce libraire le second manuscrit que je lui avais confié, et qu'il l'a fait dans le dessein de me perdre en France et de me forcer à recourir à lui ».
Le 30 décembre à Richelieu : « On m'assure que le prince Charles rendit au roi de Prusse … jusqu'à son chien . Il me demanda depuis un nouvel exemplaire . Je lui en donnai un plus correct et plus ample . Il a gardé celui-là . Son libraire Jean Néaulme a imprimé l'autre . »; page 102 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80033k/f106.image.r=.langFR
Après avoir lu cet Abrégé de l'histoire universelle … , il écrira le 13 janvier 1754 à Walther : « C'est un … manuscrit … que j'avais pris la liberté de donner au roi de Prusse sur la fin de 1739 » ; page 102 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80033k/f106.image.r=.langFR
Le roi lui écrira le 18 mars qu'il se trompe car il a encore le manuscrit confié par V* et celui-ci doit être tranquille sur tout ce qu'il lui a confié .
Voir aussi lettre à Néaulme du 28 décembre 1753 : page 100 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80033k/f104.image.r=.langFR
4Des fragments de La Pucelle se trouvaient à Sohr avec l'Histoire universelle dans la « cassette grise-rouge de l'avare » écrit V* à d'Argental le 21 ; page 99 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80033k/f103.image.r=.langFR
8 C'est l’œuvre vengeresse, les lettres de Prusse à Mme Denis réécrites, à publier après sa mort, ou alors l'ébauche du conte Les Lettres d'Amabed, où il est question de l'Inquisition , de femme incarcéré et violée, et qui est censé être la transcription d'un manuscrit du XVIè siècle . Le 9 janvier 1754, V* donnera des précisions qui peuvent s'appliquer à l'un ou l'autre hypothèse : « … de ces occupations la plus agréable et la plus chère a été de mettre en ordre nos lettres, de les ajuster, et d'en faire un recueil qui compose une histoire suivie, assez variée et assez intéressante . Elles sont naïves, c'est comme Paméla une histoire en lettres ; il n'y a point d'humeur, cela fourmille d'anecdotes . Tout est dans la plus exacte vérité . Une cinquantaine de lettre composent le recueil . Cernin n'y gagnera pas, et la postérité jugera . »
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