21/03/2013
je me fais un plaisir de chercher toutes les raisons qui peuvent justifier le succès d'un jeune homme qui a besoin d'encouragement
... Combien d'auteurs ratés, devenus critiques par défaut, seraient capables de cet altruisme voltairien ? Aucun !
Quel remarquable pédagogue que ce Voltaire qui encourage un débutant et fait la part du bon et du moins bon, en mettant en lumière d'abord ce qui mérite des félicitations, qui sent le potentiel d'un jeune et le fait savoir . On est loin des jugements hâtifs et péremptoires de ceux qui croient être détenteurs du bon goût, du savoir faire, et mesurent tout à l'aune de leur nombril .
The lost art of encouragement
« A M. Gabriel SÉNAC de MEILHAN 1
chez M. Sénac, premier médecin du roi, à Versailles.
A Lausanne, 12 janvier[1758]. 2
Mes yeux ne sont pas trop bons, monsieur, mais ils ont grand plaisir à lire vos lettres. Vous jugez très-bien il y a des vers un peu durs dans l'ouvrage 3 que vous avez eu la bonté de m'envoyer. Quand vous vous amusez à en faire, les vôtres ont plus de douceur, de facilité et de grâce. Mais je sens aussi l'horrible difficulté de faire une pièce telle que celle-ci; et cette difficulté me rend bien indulgent. D'ailleurs on ne doit sentir que les beautés d'un auteur qui commence, le public même a besoin de l'encourager. Probablement l'auteur est sans fortune c'est encore une raison de plus pour disposer en sa faveur. On peut même dire de lui
Spirat tragicum satis, et feliciter audet.4
Il m'a toujours paru qu'au théâtre le public était moins flatté de l'élégance continue d'une belle poésie qu'il n'était frappé de la beauté des situations. Enfin je me fais un plaisir de chercher toutes les raisons qui peuvent justifier le succès d'un jeune homme qui a besoin d'encouragement. Nous allons jouer des pièces de théâtre dans ma retraite de Lausanne, où je passe mes hivers, et nous sentons tout le prix de l'indulgence.
Je me vanterai à Mme la marquise de Gentil 5, qui est une de nos actrices, que vous voulez bien me conserver un peu de souvenir. Pour moi, je ne vous oublierai jamais.
Je vous prie de vouloir bien présenter mes obéissances à monsieur votre père et à monsieur votre frère, et d'être persuadé de mes sentiments, qui vous attachent pour jamais
le Suisse V.
Mme Denis vous fait ses compliments. »
2 Cette lettre est dans Beuchot; M. de Lescure, dans son volume les Autographes, Paris, Gay, 1865, l'a reproduite d'après l'original, que lui avait communiqué M. le comte Le Coulteux de Canteleu; il a fourni quelques corrections et additions.
3 Sans doute Iphigénie en Tauride de Guimond de La Touche : http://fr.wikipedia.org/wiki/Claude_Guimond_de_La_Touche
4 Il respire le tragique comme il convient et il a des audaces heureuses . Horace, Épîtres, II, I, 166 .
5 Née Constant ; la marquise de Gentil, demeurait à Mon-Repos, dans un faubourg de Lausanne, et chez laquelle Voltaire eut une salle de théâtre où il jouait avec ses acteurs de société.
Voir lettre du 15 juin 1756 à Brenles : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/07/12/ce-fantome-de-la-vie-on-s-en-plaint-on-la-maudit-on-la-prodi.html
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