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13/02/2014

Ah! comme ce monde est fait ! Mais vous l'ornez, madame, et je ne peux en dire de mal

... Dédicace à Mam'zelle Wagnière .

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« A Louise-Dorothée von Meiningen, duchesse de Saxe-Gotha

Au château de Tournay route de Genève

25 janvier [1759]

Madame, je reçois à point nommé la lettre très-aimable, très- ingénieuse, très-édifiante dont Votre Altesse sérénissime m'honore, du 16 janvier. Il est bien clair que vous n'avez rien de mieux à faire que de vous résigner. Le roi de Prusse et ses ennemis n'en usent pas d'une manière si philosophe et si chrétienne .
Voici en tout cas un des plus beaux et des plus doux hivers possibles; je crains bien qu'on n'en abuse pour désoler quelque pauvre province. Le système de Leibnitz peut être consolant 1; mais celui des princes chrétiens, révérence parler, ne l'est guère. Il fait un aussi beau temps dans l'enceinte de nos Alpes que dans vos plaines de Thuringe, et nous ne craignons ni pandours, ni housards, ni troupes réglées ni déréglées 2. Voici un vrai temps pour venir vous faire sa cour. Les visites que Votre Altesse sérénissime peut recevoir des majors impériaux, ou français, ou autrichiens, ou prussiens 3, ne seraient certainement pas des hommages aussi purs, aussi sincères que les miens.
Je viens de recevoir une visite un peu extraordinaire du Genevois La Bat, baron suisse. Il s'est plaint à moi, madame, que votre ministre n'a pas daigné lui écrire ; il dit qu'il attend en vain une réponse depuis le commencement de décembre ; il dit qu'il a donné son argent longtemps auparavant, et qu'on n'en a pas seulement accusé la réception. Il prétend, en bon Suisse, en bon Genevois, s'en prendre à moi. J'ose conjurer Votre Altesse sérénissime de vouloir bien lui faire écrire d'une manière satisfaisante, et que votre pauvre serviteur ne soit plus exposé à ses menaces.
Il me semble qu'il y a un grand refroidissement entre la cour de France et celle du Palatin, et quelques autres encore. Mais quand la rage d'exterminer des hommes se refroidira-t-elle?
Jamais si petit sujet n'a ensanglanté la terre et les mers. Passe encore quand on combattait pour Hélène; mais le Canada et la Silésie ne méritent pas que tout le monde s'égorge.
On prétend que les jésuites sont les auteurs de la conspiration du Portugal; autre scène d'horreurs. Ah! comme ce monde est fait ! Mais vous l'ornez, madame, et je ne peux en dire de mal.
Agréez le profond et tendre respect de V. »

1 La lettre de la duchesse commence par un long développement sur l'optimisme qui lui « plait mieux parce qu'il console le plus », pour conclure : « Je m'aperçois mais trop tard, monsieur, que je suis tombée dans le piège que je voulais éviter […] je ne voulais que vous dire mes consolations […] Je n'ai pas eu l'honneur de connaître personnellement la margrave de Bayreuth mais je la regrette parce que tout le monde la loue, et parce qu'il me paraît , monsieur, que vous êtes sensible à sa perte . »

2 Lettre de la duchesse :« Nous sommes entourés de nouveau des troupes de l'Empire mais nous ignorons encore le but de ces marches : nous voyons bien que tout chemine vers Erfurth et par conséquent vers la Saxe électorale […] cette visite […] nous attirera peut-être encore celle des Prussiens et le théâtre de la guerre dans nos contrées . Le temps doux qu'il fait ici est un phénomène singulier dans cette saison et pour notre climat : depuis trente ans que je suis mariée et que je me trouve dans la Thuringe je n'ai rien vu de pareil . Je ne fais presque pas chauffer mes chambres, et nous n'avons eu presque point de neige ni de vent du nord ; tout ceci a favorisé et inspiré l'envie à nos braves guerriers, je pense, à venir s'établir chez nous. »

3 Sur le manuscrit, V* avait d'abord écrit encore « autrichiens ».

 

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