12/04/2014
si je me livrais au plaisir que j'ai de vous voir à la tête des affaires, et d'avoir obligation au plus aimable de tous les ministres
... Je serais sans aucun doute le plus pitoyable lèche-cul de notre beau royaume de France qui n'en manque certes pas ; le régime des faveurs, passe-droits, trafics d'influences, piston, ayant un cours fort élevé , la bourse aux valeurs républicaines est dans la débine continuellement . Nicht wahr Manuel ? ou plutôt "no es cierto ?"
Mais que faire dans un pays où l'on manifeste "contre" comme on pète bien avant d'avoir digéré le plat proposé ?
http://www.bmlisieux.com/curiosa/curios01.htm
« A Etienne-François de Choiseul-Stainville, duc de Choiseul 1
Aux Délices près de Genève
9 mars 1759 2
Monseigneur, puisque vous avez tant de bonté pour l'ermite des Alpes et du mont Jura, il dira tout est bien et il vous devra l'agrément du reste de sa vie . Je suis vieux et encore plus malingre . Je n'ai pas voulu attendre les moments auxquels on ne sait ce qu'on fait, ni ce qu'on dit, ni ce qu'on entend, ni le pays où l'on va, pour laisser à mes nièces le peu de bien que j'ai sauvé des naufrages de ce monde . Mais j'aurais fait un présent funeste à ma nièce Denis pour laquelle vous avez eu des bontés, si la petite seigneurie de Ferney que je lui ai achetée était privée des droits et des franchises dont elle a jouit deux cents années . Il eût été bien dur qu'une catholique sujette du roi eût vu périr entre ses mains des privilèges dont des étrangers huguenots souvent ennemis du roi ont été en possession sans y être jamais troublés .
Ces droits sont fort peu de chose, et ne diminuent ni n'augmentent les contributions de la province de Gex, Mme Denis étant demoiselle 3 et veuve d'un gentilhomme ne paye point la taille . Il ne s'agit donc que des dîmes attachées à la seigneurie, et de la faculté de vendre son blé à Genève ou en Suisse . Ces bagatelles pourraient rencontrer des longueurs à un parlement, ou devant un intendant de province, et n'en trouveront point chez un protecteur tel que vous .
J'ai l'honneur de vous soumettre , monseigneur, un extrait des contrats par lesquels Mme Denis est en possession de Ferney, et de quelques terres adjacentes .
Ces contrats ne spécifient aucun des champs, ni des prés, ni des vignobles, compris dans ce qu'on appelle l'ancien dénombrement, on s'en est toujours rapporté à la notoriété publique, à l'usage, aux rôles des tailles, le tout fondé sur les anciens cadastres rongés des vers à Genève et chez le subdélégué de Gex . On ne consulte ces registres que dans les cas où l'assise de la taille ferait une difficulté ; et c'est ce qui ne nous regarde pas . Les deux seuls points sont les dîmes inféodées 4 et le droit de vendre nos denrées . L'objet des dîmes inféodées intéresse particulièrement Mgr le comte de La Marche, seigneur suzerain, qui perdrait son droit de lods et vente sur cette partie, si quelque curé s'avisait de vouloir nous les enlever . Un mot du roi nous met à l'abri de tout, et nous vous en aurons une obligation éternelle . Nous n’avons point encore l'expédition des contrats qui sont à Gex pour y être contrôlés et Mme Denis vous accuse la vérité de tout ce qu'ils contiennent .
J'ai pris la liberté de joindre à son récit un exposé des raisons qui peuvent justifier le brevet du roi, et des grâces qu'elle demande . Cela est court, et ne vaut pas la peine d'être long . Ma lettre n'est que trop longue, elle le serait bien davantage si je me livrais au plaisir que j'ai de vous voir à la tête des affaires, et d'avoir obligation au plus aimable de tous les ministres .
J'ai l'honneur d'être avec un profond respect et la plus vive reconnaissance
monseigneur
votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire
gentilhomme ordinaire du roi »
2 Le manuscrit olographe porte deux mentions : « M. de Voltaire . Sur la demande que la terre de Ferney acquise par Mme Denis continue à jouir des privilèges des terres de l'ancien dénombrement », et « envoyé à M. Joly de Fleury Intendant de Bourgogne » . La lettre fut transmise à Choiseul accompagnée d'un mémorandum fait par un de ses assistants .
3 C'est à dire de naissance noble .
4 Les dîmes inféodées sont des dimes abandonnées pour l’Église au seigneur du lieu .
22:12 | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.