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05/06/2015

il ne convenait guère à un insecte d'attaquer un lézard

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« A Etienne-François de Choiseul-Stainville, duc de Choiseul-Stainville

[vers le 5 juin 1760]

[Conseille à Choiseul de ne pas trop insister sur les termes de la paix, tels qu'il les a suggérés pour la réponse de V* à Frédéric II ; lui reproche d'autre part trop de complaisance pour Fréron]1

1 Les indications données sur cette lettre sont déduites de la réponse de Choiseul qui est importante pour comprendre la suite des relations entre V* et le ministre : « A Versailles ce 16 juin [1760]

Vous êtes plus sage que moi et vous avez raison ; car , si c'est bien fait de n'être pas sage, il ne sied pas mal quelquefois de l'être . Tout bien considéré, il vaut mieux ne pas répondre aux injures ; je crois que c'est la guerre des gens de lettres et des philosophes qui avait échauffé ma tête sur les grossièretés de Luc . Restons-en là et contentons-nous, chacun pour notre rade, de ne le point craindre quand il pourfendait tous les Autrichiens, et de le mépriser quand il se battra sans esprit et sans talent avec des injures .

J'ai vu un poème de vous qui s'appelle Le Pauvre Diable, que ni vous ni d'Argental ne m'avez envoyé ; vous en êtes sûrement l'auteur, comme vous l'êtes de L’Écossaise . Quoique vous disiez que je protège Fréron (qui m'intéresse autant que Palissot qui ne m'intéresse point du tout ) avec lequel j'ai été au collège sans nulle privauté ( il était cependant jésuite et moi écolier sans avoir eu la petite vérole ), je vous assure que ce que vous dites de lui me fait rire quand il est plaisant et m'est indifférent quand il ne me fait pas rire ; j'avais conseillé à Fréron de ne point parler de vous dans ses feuilles ; je lui avais même insinué qu'il ne convenait guère à un insecte d'attaquer un lézard ; il a depuis critiqué mal à propos La Femme qui a raison ; cette critique vous a fâché ; vous le maltraitez ; à la bonne heure, je vous le livre ; j'en fais de même de Palissot qui, quoi qu'on en dise , fait fort bien des vers, et sa pièce des Philosophes, que j'ai hautement désapprouvée et qui est certainement une mauvaise comédie, a des scènes très dialoguées et très bien écrites . Je ne me pique pas d'être un juge compétent, mais par exception je soutiendrai même à Diderot qu'il écrit aussi mal en prose que Palissot écrit fort bien des vers et a de la facilité et du talent . Après cela l'on dira que sa morale est indigne, qu'il est fripon, etc . Je l'abandonne à la malédiction de la philosophie et des philosophes et même aux coups de bâton qu'il pourra mériter . Si une pauvre femme qui se meurt et à qui un philosophe l'a appris galamment dans une préface était morte, je ne voudrais entendre parler de ma vie de ce Palissot, ni de tout ce train d'auteur qui ne m'est bon que pour faire diversion dans la tête des badauds de Paris à la guerre véritable . Je n'en ai jamais tant dit que je vous en écris sur cette matière ; c'est pour vous détromper sur un intérêt tendre que vous me supposez pour Fréron . Adieu, cher solitaire ; je vous embrasse de tout mon cœur et vous prie de m'envoyer ce chant de La Pucelle que vous m’avez promis . »

 

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