29/06/2015
Il m'a écrit des lettres captieuses
... Ni capiteuses, ni capricieuses .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'ARGENTAL.
Aux Délices, 23 juin 1760
Mon divin ange, M. le duc de Choiseul m'a mandé qu'il avait vu le Pauvre Diable. Vous devez l'avoir chez vous; mais en voici, je crois, une meilleure édition,1 que la cousine Catherine Vadé m'a envoyée, et que je remets dans vos mains pour vous amuser, car il faut s'amuser. Voici encore l'amusement d'une nouvelle réponse à une nouvelle lettre de Palissot de Montenoy . Puisque vous avez eu la bonté de lui faire parvenir ma première, j'ose encore vous supplier de lui faire tenir ma seconde. Elle est argumentée ad hominem ; et, s'il ne fait pas ce que je lui demande, je pense qu'on peut alors rendre ma lettre publique ; mais ce ne sera pas sans votre consentement.
Vous aurez, par le premier ordinaire, le drame de Jodelle , ajusté au théâtre moderne par Hurtaud.2 Si cela ressemble à Nanine, j'ai tort; si cela n'est pas gai et intéressant, j'ai encore tort .
Si cela peut être joué sans qu'on soupçonne le moins du monde un autre que Hurtaud, j'aurai un vrai plaisir. Voulez- vous m'en faire un ? C'est de m'envoyer un des Mémoires de M. Lefranc de Pompignan. Tout le monde m'en parle, et je ne l'ai point vu.
Je suppose que vous daignerez faire prendre copie de ma réponse à Palissot . Il ne manque pas d'esprit ce drôle-là . Il m'a écrit des lettres captieuses 3.
Je suis enchanté , on a pris un gros magasin à Luc,4 on est en Silésie … (cela est douteux) .
Et je me sens par ma planète
A la malice un peu porté 5.
Comment se porte Mme d'Argental ? Comment M. de Courteilles se trouve-t-il de la tronchinade 6?
Mon cœur est aussi tendre avec vous que coriace avec Pompignan. Trublet travaille au Journal chrétien 7. Il a imprimé que je le faisais bâiller; Catherine Vadé dit qu'il est plus ennuyeux encore que moi.8 Mes respects, je vous prie, à Abraham Chaumeix, si vous le voyez chez M. Joly de Fleury.
Je ne vous en aime pas moins, mon divin ange.
V .
Mon cher ange , j'ai demandé un passeport pour un huguenot de Guyenne au gouverneur de Guyenne 9 . Il ne m'a fait seulement réponse , il n'a tenu compte de deux lettres que je lui ai écrites . Il a d'autres torts avec moi . Il devrait au moins être civil . Le voyez-vous ? »
1 On connait au moins 6 éditions du Pauvre Diable de 1758 (en fait 1760).
2 Voir lettre du 12 avril 1760 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/04/12/le-plaisir-du-secret-de-l-incognito-de-la-surprise-est-quelq.html
3 Le mot est joli, sur le mode des Lettres intéressantes, etc. Voir : http://www.cnrtl.fr/lexicographie/captieux
4 A Landshut .
5 Nouveau souvenir d'Amphitryon, de Molière, acte III, sc. 2 .
6 Néologisme après palissoterie et fréronade (voir lettre du 3mars 1760 à Cramer : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/03/05/les-delices-remercient-tres-humblement-madame-cramer-de-ses-5572054.html)
7 Depuis le début de 1758, Trublet avait dirigé le Journal chrétien, fondé en 1754 sous le titre de Lettres sur les ouvrages de piété .
8 Allusion aux vers 222 et suivants du pauvre Diable :
« L'abbé Trublet alors avait la rage
D'être à paris un petit personnage ;
Au peu d'esprit que le bonhomme avait
L'esprit d'autrui par supplément servait .
Il entassait adage sur adage ;
Il compilait, compilait, compilait [...]
Le dernier vers était cruel et poursuivit Trublet jusqu'à sa mort ; il était aussi injuste car les détails que recueillait Trublet sur la vie des grands hommes qu'il fréquentait , La Motte, Fontenelle et Marivaux, notamment, gardent à nos yeux la valeur de documents irremplaçables .
9 Le duc de Richelieu .
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