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14/09/2016

Ceci, monsieur, n'est pas académique, c’est chicane, mais le tout pourra vous amuser

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Le ton du thon de tonton tinte faux .

 

 

« A Germain-Gilles-Richard de Ruffey

A Ferney par Genève 30 septembre [1761]

Ceci, monsieur, n'est pas académique, c’est chicane, mais le tout pourra vous amuser . Je prends pour arbitres monsieur le premier président, monsieur le procureur général et M. Le Bault . Le fétiche en veut-il faire autant .

Je consens à lui rendre Tournay et à lui donner Ferney si dans toute la province de Bourgogne il se trouve un seul homme qui approuve son procédé .

Je vous quitte pour Corneille . Quand vous voudrez venir nous voir avec madame de Ruffey nous vous donnerons la comédie .

Je vous embrasse très tendrement et sans compliment.

V.

 

FAIT

Quand M. le président De Brosses vendit la terre de Tournay à vie, à François de Voltaire, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, âgé alors de soixante et six ans 1, l'acquéreur qui ne connaissait point cette terre s'en remit entièrement à la probité et à la noblesse des sentiments de M. le président De Brosses . M. le président avait fait ci-devant un bail de trois mille livres par année de cette même terre avec le sieur Chouet, fils du premier syndic de Genève, qui était son fermier . Mais le sieur Chouet y avait perdu de notoriété publique vingt-deux mille francs, et la terre ne rapporte pas douze cents livres dans les meilleurs années . Monsieur le président exigea de l'acquéreur à vie âgé de 66 ans trente cinq mille six cents livres , argent comptant, et douze mille francs en réparations à faire au château et à la terre en trois années de temps ; l'acquéreur fit en trois mois pour dix-huit mille livres de réparations dont il a les quittances .

Il y a dans cette petite terre de Tournay un bois que monsieur le président lui donna pour un bois de cent arpents 2 dans l'estimation de la terre . Les ingénieurs qui sont venus mesurer, par ordre du roi, toutes les terres de France, ont trouvé que ce bois mesuré géométriquement, ne contient pas quarante arpents , et l’acquéreur a entre les mains le plan des ingénieurs du roi .

Non seulement l'acquéreur essuya ces pertes considérables, qui ruinent sa fortune, mais monsieur le président lui persuada, avant de lui faire signer le contrat, qu'il avait vendu en dernier lieu à un négociant de Genève, une partie de sa forêt qui était abattue, et qu'il ne pouvait rompre ce marché . Il fut stipulé dans la contrat passé au mois de novembre 1758, que M. de Voltaire aurait la jouissance entière de la terre de Tournay, et des bois qui sont sur pied, et non vendus . L’acquéreur ne pouvant pas douter sur la parole de monsieur le président qu'il y eût une vente véritable, signa le contrat de sa ruine .

Ayant bientôt vu à quel excès il était lésé dans son marché, il s'en plaignit modestement à monsieur le président, et lui demanda par ses lettres pourquoi il avait vendu ces bois qui devaient appartenir à l'acquéreur ; monsieur le président lui répondit par sa lettre du 12 janvier 1759 : Il est vrai qu'on a mis un certain nombre de chênes au niveau des herbes, pour certaines rasons à moi connues ; mais à quoi la faim de l'or ne contraint-elle pas les poitrines mortelles ?

L'acquéreur fut bien surpris quelque temps après, quand toute la province lui appris que monsieur le président n'avait point du tout vendu ces bois . Il les faisait vendre, exploiter en détail, pour son compte, par un paysan du village de Chambésy, nommé Charles Baudy, lequel Charles Baudy son commissionnaire, compta avec lui de clerc à maître . Il est triste d'être obligé de dire que l'acquéreur manquant de bois de chauffage, lorsqu'il acheta la terre de Tournay, eut en présence de toute sa famille, parole de monsieur le président qu'il lui serait loisible de prendre douze moules de ces bois prétendus vendus, pour se chauffer . Il en prit quatre, ou cinq, tout au plus .

Enfin au bout de trois années, monsieur le président lui intente un procès au bailliage de Gex sous le nom de Charles Baudy son commissionnaire, pour paiement de deux cent quatre-ving[t] et une livres de bois ; et voici comme il s'y prend .

Il assigne Charles Baudy son commissionnaire qu'il fait passer pour son marchand, et il dit dans cette assignation du 2 juin que Charles Baudy lui retient 281 livres de bois, parce qu'il a fourni à M. de Voltaire pour 281 livres de bois, et Charles Baudy au bas de cet exploit assigne François de Voltaire .

Le défendeur ne veut pour preuve de l'injustice qu'il essuie que l'exploit même de monsieur le président . Il est clair par l’assignation donnée par lui à Charles Baudy, que ce Charles Baudy compte avec lui de clerc à maître, comme toute la province le sait . Monsieur le président dit dans son exploit que Charles Baudy et lui firent un marché ensemble en l'année 1756. est-ce ainsi qu'on s'explique sur un marché véritable ? n'exprime-t-on pas la date et le prix du marché ?

Ladite assignation porte en général une certaine quantité d'arbres . Ne devait-on pas spécifier cette quantité ? ladite assignation porte que ces bois furent marqués . Mais s'ils avaient été marqués juridiquement , n'en saurait-on pas le nombre ? N'est-ce pas un garde-marteau qui devrait avoir marqué ces bois ? Peut-on les avoir marqués sans la permission du grand maître des Eaux et Forêts ? On ne produit ni permission, ni marque de bois, ni acte passé avec ledit Baudy .

Il est donc clair comme le jour que monsieur le président n'a point fait de vente réelle, que par conséquent tous lesdits bois injustement distraits du forestal 3, sous prétexte d'une vente simulée, appartiennent légitimement à l'acquéreur de la terre . Baudy en a vendu pour 4800 livres .

Partant, François de Voltaire est bien fondé à demander la restitution de la valeur de quatre mille huit cents livres de bois .

Plus l'indemnisation des dommages causés par l'enlèvement de ces bois , au mois de mai 1759, contre les ordonnances, comme il est même spécifié dans l’exploit de monsieur le président qui porte que Baudy exploita et tira ces bois de la forêt jusqu'au mois de mai 1759 .

le défendeur se réservant ses autres droits sur la lésion de plus de moitié qu’il a essuyée quand monsieur le président lui a vendu quarante arpents pour cent arpents . »

1 En fait soixante quatre ans en 1758 .

3 Mot ancien , donné par Godefroy, variante de forestel, diminutif de forêt ; il existe encore comme nom propre .

 

Commentaires

Merci de votre soutien, mister James.

Écrit par : LOVEVOLTAIRE | 14/09/2016

Je serais toujours heureux d'être de votre côté .
Et pour soutenir notre amour commun , une video qui vous plaira : http://sites.arte.tv/philosophie/fr/voltaire-la-tolerance-est-elle-politiquement-incorrecte-philosophie
Mille et une affectueuses pensées

Écrit par : James | 15/09/2016

Les commentaires sont fermés.